Défis sur Internet : Michel Fize, « Les jeunes ont besoin d’être reconnus pour une performance, quelle qu’elle soit » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 03 Sep 2014 à 15:19
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Ice Bucket Challenge, Fire Challenge, A l’eau ou au resto, Atersex, tous ces phénomènes viraux sont nés en 2014. Alors, à l’heure où les défis en tout genre se multiplient sur les réseaux sociaux, qu’ils aient un caractère sportif, humoristique ou encore sexuel, Air of melty a cherché à comprendre pourquoi les jeunes raffolaient tant de ces défis numériques partagés entre pairs. Michel Fize, sociologue spécialiste de la jeunesse et auteur de l’Antimanuel d’adolescence, nous a donné son point de vue.

Ces derniers mois, les défis en tout genre se multiplient sur les réseaux sociaux, poussant les jeunes à se montrer toujours plus téméraires ou toujours plus fous. C’est un fait, la génération Y aime se lancer des challenges, allant de l’Ice Bucket Challenge au Fire Challenge sur Facebook, sans oublier l’envoi de sextos ou vidéos érotiques sur les applications de messagerie instantanée, qui constituent une forme de communication inédite jusque-là. Face à tous ces phénomènes et en plein scandale du CelebGate, avec les selfies de stars nues volées et représentatifs de la génération Y adepte du sexe 2.0, Michel Fize, sociologue spécialiste des questions de l’adolescence et de la jeunesse, dont l’ouvrage Antimanuel d’adolescence vient de sortir, a accepté de répondre à nos questions.

-Les défis dangereux se multiplient aujourd’hui sur le net. Est-ce une caractéristique propre à la génération Y ou les jeunes ont-ils toujours eu tendance à se lancer ce genre de défis ?

Je pense que le défi fait partie de la manière d’être quand on devient adolescent. C’est une manière de s’affirmer, d’être reconnu par ses pairs. Internet offre aujourd’hui la possibilité que les défis ne se limitent plus aux défis sportifs, et laissent place à des défis numériques. Attention toutefois à ne pas généraliser, il y a des jeunes qui ont besoin de sensations fortes pour se sentir exister, mais il y en a beaucoup d’autres qui n’ont pas besoin de ça. Ces défis ne concernent donc pas tous les jeunes, qui ne sont pas non plus tous sur les réseaux sociaux. Et, en tout cas, tous n’y sont pas pour se livrer à ce genre de défis.

-Comment les réseaux sociaux sont-ils devenus le théâtre de ce genre de nouveaux challenges ?

Il y a dans ce monde très anonyme un besoin d’être reconnu pour une performance, quelle qu’elle soit. Il faut quelque chose qui fera tourner les projecteurs sur soi. Donc plus c’est loufoque, plus c’est spectaculaire, plus c’est dangereux et plus on va susciter de l’intérêt. C’est un vrai souci de capter l’attention, pour se donner une vraie visibilité personnelle.

-Les réseaux sociaux accentuent-ils significativement l’influence des pairs ?

Bien sûr. Je pense d’abord que les réseaux sociaux sont un formidable outil égalisateur. Il n’y a plus de fort et de faible. Chacun peut faire ce qui lui passe par la tête en toute spontanéité, en toute rapidité et parfois en tout anonymat. C’est important cette gratuité, cette spontanéité, cette immédiateté même. Cela permet à n’importe qui de faire ce qu’il veut où il veut et quand il veut. Les réseaux sociaux donnent donc une liberté et une égalité très perceptible entre tous les jeunes, qui ne se privent pas pour l’exploiter.

-Les jeunes ont-ils pleinement conscience des risques qu’ils prennent ou existe-t-il une forme d’inconscience ?

Les deux à la fois. Je reprendrai ce que disent souvent les psychanalystes : ‘Quand on a cet âge, on se sent un peu immortel’. En somme, il ne peut rien vous arriver. Ajouté à la confusion qu’il y a de temps en temps entre le virtuel et le réel, cela donne une espèce d’inconscience tout en réalisant les risques pris. Dans les jeux vidéo, par exemple, vous ne mourrez jamais. La mort existe, mais pas pour de vrai. Donc, dans l’esprit des jeunes, c’est un peu ça, on ne peut pas mourir pour de vrai en se lançant ce type de défis. Maintenant, il y a aussi, dans cette prise de risque extrême, quelque chose de grisant. Ça fait monter l’adrénaline et ça donne des sensations très agréables. Une petite dose de sensations, c’est important pour tout le monde, et particulièrement à cet âge.

-Si le défi A l’eau ou au Resto a cartonné en France, d’autres défis, comme l’Ice Bucket Challenge et le Fire Challenge par exemple, n’ont pas (encore) réussi à s’importer chez nous. Comment l’expliquer ?

Les Etats-Unis sont toujours un peu dans la caricature, dans l’excès. Ceci étant, je trouve quand même que nos défis sont déjà particulièrement spectaculaires. Nous n’avons peut-être pas atteint le niveau américain mais on peut clairement penser que ce qui s’est passé aux Etats-Unis peut arriver à un moment ou à un autre chez nous. Ce qui nous protège pour l’instant, c’est que, en France, nous sommes encore ancrés dans un esprit plutôt cartésien. Je ne veux en aucun cas dire que le bien et le mal sont rigoureusement bien identifiés, mais il y a quand même une certaine moralisation dans les esprits qu’on ne voit pas forcément dans certaines pratiques américaines comme, par exemple, les concours de petites filles qui ont agité les médias pendant longtemps pour leur phénomène d’hypersexualisation et que l’on ne verra (normalement) jamais en France. Notre culture nous préserve un peu de l’excès américain, je pense.

-Et que penser du CelebGate, qui remue la planète depuis dimanche soir ? Peut-on redouter un scandale similaire concernant des jeunes en France ?

Ça rejoint un peu ce que je viens de dire, je crois qu’il y a une culture morale et une représentation de la sexualité qui sont très différentes entre les Etats-Unis et l’Europe. Un tel scandale pourrait arriver en France, mais la sexualité fait quand même toujours partie de l’intimité et d’un certain tabou chez nous, même chez les plus jeunes (Une étude de l’Ifop confirme cette idée, par ici). Les jeunes français sont plus ‘prudes’, plus moraux qu’on ne l’imagine. Evidemment, pas comme autrefois, mais il y a un rapport un peu plus compliqué au sexe par chez nous. Aux Etats-Unis, on est dans le grand écart, entre le puritanisme très vigoureux et une absence de frein aux images sexuelles. Cela n’existe pas en France.