Hervé Glevarec : « Les séries engagent les jeunes dans un questionnement, une réflexion quant à leurs propres décisions » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 01 Oct 2014 à 15:24
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Plus de huit jeunes sur dix suivraient au moins une série au quotidien. Alors que la génération Y se révèle de plus en plus exigeante et de plus en plus rapidement lassée, comment les séries séduisent-elles les jeunes adultes au quotidien ? Que leur apportent-elles ? Que nous enseignent-elles sur les attentes et les préoccupations des jeunes ? Hervé Glevarec, auteur d’un ouvrage sur le rapport des jeunes adultes à la sériphilie a accepté de nous éclairer en répondant à quelques questions.

Il y a quelques semaines, Air of melty vous dévoilait son Hot Topics dédié aux séries, révélant alors que The Vampire Diaries saison 6 et Game of Thrones saison 5 étaient les séries à suivre à tout prix sur melty.fr durant le mois de septembre. C’est un fait, les séries sont toujours omniprésentes dans les dossiers suscitant le plus d’intérêt chez les meltynautes, régulièrement décryptés par meltyMetrix, le service smart data de meltygroup. Ainsi, dans le top 10 du mois d’août 2014, pas moins de cinq séries composaient le classement des 10 sujets les plus consultés par les internautes sur nos sites. Afin de mieux comprendre le rapport des jeunes adultes aux séries, en cette période de rentrée des séries, nous avons posé quelques questions à Hervé Glevarec, chargé de recherche au CNRS et auteur de l’ouvrage « La sériephilie, Sociologie d’un attachement culturel et place de la fiction dans la vie des jeunes adultes », paru en 2012.

-Les séries sont-elles considérées comme une pause dans la vie réelle ou, à l’inverse, jouent-elles un rôle important dans le quotidien des jeunes adultes ?

J’ai qualifié leur pratique « d’interstitielle », c’est-à-dire qu’elles prennent place dans des temporalités plutôt courtes, répétées et s’inscrivant dans les interstices du temps de travail ou universitaire dans le cas des étudiants. Il y a aussi une consommation ‘marathon’ qui consiste à enchaîner les épisodes à la suite.

-Cette consommation marathon est aussi appelée binge-watching, comme nous en avons déjà parlé. Est-ce simplement le rapport des jeunes aux produits culturels qui a changé (forme d’impatience, volonté de tout avoir sous la main tout de suite) ou cela s’explique par le développement de nouvelles façons de visionner les séries, comme le streaming ?

J’ai qualifié leur mode de visionnage de « régime du plaisir situé ». La consommation de série est un plaisir pris au visionnage et non un plaisir pour plus tard, c’est un plaisir pour des séries jugées de grande valeur.

-Quel type de séries les jeunes adultes privilégient-ils et pourquoi ?

Ils privilégient les séries feuilletonnantes (Dr House, Desperate Housewives, Grey’s Anatomy, Game of thrones, Lost…), tandis que les plus jeunes, les 11-14 ans, privilégient les séries courtes ou unitaires (comme par exemple Joséphine ange gardien). Ils privilégient notamment des séries où non seulement de jeunes adultes font aussi partie des personnages, mais surtout des personnes en recherche de ce qu’ils veulent, des personnes parfois tourmentés. J’ai appelé ces séries des « séries à hypothèses » parce qu’elles mettent le spectateur en position d’enquêteur, sur l’histoire à venir, les réactions des personnages.

– Les jeunes adultes se servent-ils des expériences vues dans les séries pour répondre à leurs propres questionnements, pour résoudre des problèmes liés à leur propre existence ou parviennent-ils à conserver une certaine distance avec la fiction ?

Ces séries sont des fictions qui mettent en scène des situations de vie, des situations morales, des choix à opérer qui engagent les spectateurs dans un questionnement, sinon une réflexion quant à ses propres décisions ou aux décisions que le personnage pourraient ou devraient prendre. Ce sont des supports à des situations que les individus contemporains considèrent comme pertinentes de ce qui est aussi leur être au monde.

-Le visionnage de séries par les jeunes est-il plutôt une activité solitaire ou au contraire partagée entre pairs ?

Elle est à la fois solitaire et partagée, en couple ou entre amis. C’est la particularité très nette de cette pratique audiovisuelle, qui semble la distinguer de la pratique du cinéma, davantage partagée. La consommation solitaire tient au lien fort entre le spectateur et sa série.

-Qu’en est-il du rapport des jeunes au spoiler ? Netflix a récemment lancé un site internet 100% spoiler, en cherchant à s’adapter aux nouvelles attentes des téléspectateurs. Pourquoi les téléspectateurs cherchent-ils autant les spoilers sur le net ?

Je pense que cela fait partie du jeu avec le genre sériel, anticiper pour mieux regarder ensuite du moins pour ceux qui veulent savoir avant les autres. Etre un amateur suppose de se laisser prendre par l’objet de son intérêt mais aussi de prendre position sur lui.

-Secret Story 8 a une nouvelle fois connu un fort succès auprès des jeunes cet été. Ces derniers perçoivent-ils la télé-réalité comme une nouvelle forme de série ou est-ce un rapport complètement différent à celui des séries ?

Bonne question. J’ai toujours pensé qu’il y avait un rapport fort entre série et télé-réalité, les deux grands nouveaux genres télévisés de ces dernières années. Ce rapport est celui de « l’effet de réel » : percevoir quelque chose du hors dispositif télévisuel dans le programme.