BETC Digital, “Derrière la marque, les jeunes cherchent avant tout le centre d’intérêt” (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 11 Avr 2019 à 11:56
BETC Digital, “Derrière la marque, les jeunes cherchent avant tout le centre d’intérêt” (EXCLU)
À l’heure où le Social Media Marketing s’impose de plus en plus comme étant une tendance incontournable pour les marques visant les moins de 20 ans, Sébastien Houdusse, DGA de BETC Digital, nous parle plus en détail du rapport qu’entretiennent les 12-17 ans avec les réseaux sociaux en tout genre. Focus sur les Communiteens !

Au quotidien, la rédaction d’Air of melty vous parle du fait que les jeunes passent un temps infini au quotidien sur leurs réseaux sociaux préférés. Au-delà d’Instagram et de Snapchat, qui s’imposent comme étant leurs plateformes de référence, TikTok s’impose aussi un peu plus mois après mois auprès des plus jeunes. Pour vous aider à mieux gérer votre stratégie de Social Media Marketing, Sébastien Houdusse, DGA de BETC Digital, a accepté de répondre à nos questions concernant le rapport des 12-17 ans aux réseaux sociaux.

-Air of melty : L’an dernier, l’étude de BETC Digital avait mis en lumière la notion de « communiteens » concernant les 12-17 ans. Cette notion est-elle toujours d’actualité en 2019 et que signifie-t-elle ?

Sébastien Houdusse, DGA de BETC Digital : Nous étudions depuis 2 ans maintenant au sein de la cellule BETC Teens les évolutions des comportements et usages des adolescents, notamment dans leur rapport aux réseaux sociaux. Ces études sont avant tout ethnographiques, et prennent la forme de plusieurs dizaines d’interviews, de plusieurs focus groups, d’entretiens semi-directifs et d’observation non participante. Nous avions décidé pour cette troisième étude d’interroger la notion de communautés : comment elles se forment et se déforment ? quelles sont les motivations et les sujets ? Et enfin, comment marchent les logiques d’influence dans ces groupes ? La notion est évidemment toujours d’actualité, car l’adolescence est vraiment l’âge des communautés, ce moment où l’individu va se construire à travers le groupe. La grande différence avec notre propre adolescence, c’est que cette génération a tous les outils pour les faire vivre plus fort. Il n’y a jamais eu autant de communautés, de supports de discussion, d’interactions : des communautés les plus partagées sur des thématiques mode, beauté, sport ou célébrités aux communautés plus niches. Utilisez le hashtag #acnecommunity ou encore #selfharm sur Instagram, vous verrez que les adolescents y partagent leurs tourments plus ou moins graves et viennent chercher de l’aide et de la compassion.

-Air of melty : Où se trouvent ces communautés et comment se forment-elles au juste ?

S.H : Que cela soit des groupes Facebook, des conversations privées et même dans la vraie vie, les communautés se créent autour de centres d’intérêt communs et de personnalités. Mais le vrai réseau des communautés c’est Instagram. « Instagram c’est pour les célébrités, les magasins, les marques… tout ce qui est en rapport avec ce que j’aime », confie par exemple Imene, 15 ans. Cela passe évidemment par le feed, avec des gens qu’on suit qui incarnent nos passions, mais cela peut aussi se passer par des groupes privés entre quelques amis sur des passions communes comme la beauté par exemple.

-Air of melty : Quels sont les liens qui unissent les jeunes entre eux aujourd’hui et quelle est leur intensité ?

S.H : Au-delà des centres d’intérêt, des passions qui unissent les communautés, il y a évidemment au cœur de tout, la volonté d’entretenir ses amitiés. Entretenir son cercle d’amis, c’est essentiel, c’est vital. Les amitiés se transforment en liens de sang, on est amis comme on est frères et sœurs. Sur les réseaux, cela se traduit par une utilisation de l’emoji ????ou ???? qui vient remplacer les pactes de sang : « la signification du sang ? C’est la personne qui est ma sœur, mon frère, c’est comme si t’étais de la famille ». On peut d’ailleurs aller très loin pour ses amis : la preuve ultime de la confiance, c’est de prêter son mot de passe Snap pour pouvoir entretenir les flammes quand exceptionnellement on se retrouve loin de son mobile. Les liens se créent aussi autour de l’année de naissance. Les ados sont désormais millésimés, ils ne parlent pas en âge mais en année de naissance : « Les 2007, elles font les grandes, elles mettent déjà du maquillage ! », « Les 2000 ils sont vieux ! ». Et puis, on ne peut pas parler de communautés sans parler de rap. Le rap, c’est vraiment le nouveau rock, tous les teens en écoutent : « J’écoute aussi de la musique normale comme Maitre Gims ou Soprano. » déclare Corentin, 15 ans. Pour eux, le rap c’est avant tout le sentiment de faire partie d’un groupe : « Le rap c’est quand il y a une bande, il y a des gens qui te soutiennent. » pour Moussa, 15 ans.

-Air of melty : Quels sont les réseaux sociaux privilégiés par les 12-17 ans ? Qu’y apprécient-ils ?

S.H : Évidemment, Instagram est central, c’est le réseau qui permet de suivre ses passions, ses communautés et d’en discuter en groupe. Mais attention, comme nous le dit Seryne, « sur Insta, tu rigoles pas, c’est comme un book ». On n’hésite pas à éditorialiser son profil, à ne conserver que les 10 à 20 photos qui ont le plus de sens, sont le plus pertinentes ou ont recueilli le plus de likes. Mais on peut aussi détourner l’usage d’Instagram en créant des « Finsta », ces profils cachés et très privés, qui ne sont pas éditorialisés mais permettent de poster des photos « dossiers » dans un cercle d’amis très restreint. Snap, c’est central aussi, mais pour un usage différent. Les ados ne le considèrent pas comme un réseau social, mais comme une messagerie, une manière de signifier constamment sa présence à ses amis, d’être là et dans le groupe. On peut faire entre 150 et 300 snaps par jour, des images qui n’ont pas d’intérêt en soi, mais disent juste la présence : « Snap, tu peux te mettre en train de marcher, on va rien te dire alors que sur Insta, si tu mets n’importe quoi, on te demande pk tu fais ça ? » Au-delà de ces réseaux centraux, on parle évidemment de Twitter, où on va pour « rigoler des haters », de Tiktok, qui accueille surtout les plus jeunes. Mais ces réseaux vont et viennent au gré de modes qui changent très rapidement.

-Air of melty : À l’inverse, est-il vrai qu’ils rejettent de plus en plus Facebook ? Pourquoi ?

S.H : Dans tous nos entretiens qualitatifs, on ressent une mise à distance de Facebook. Comme ils le disent, « Insta et Snap c’est nos réseaux à nous et Facebook c’est le réseau des anciennes générations ». Et Séryne ajoute même : « Même ma mère n’a pas Facebook ». Au-delà du fait que Facebook apparaît vraiment comme le réseau des plus vieux, des parents voire des grands-parents, dont les teens n’ont pas envie qu’ils voient toute leur activité sociale, de nombreux adolescents que nous avons interrogés disent se sentir perdus aussi de par la vocation généraliste du réseau social. On peut connecter avec ses amis, lire des actualités, la protection des données ne leur semble pas claire non plus. Bref, le réseau est trop « exposé » vis à vis des vieux et il semble en plus trop multi-fonctions pour eux.

-Air of melty : Quel impact cela a sur la manière dont les marques doivent communiquer auprès de cette cible ?

S.H : Les Teens aiment les marques mais ils sont aussi ultra pragmatiques. Derrière la marque ils cherchent avant tout le centre d’intérêt : « je suis Burger King parce que je suis tout le manger » déclare Séryne, 14 ans. Pour avoir une influence, les marques doivent savoir hacker des communautés déjà en place, s’insérer dans des conversations existantes, autour de centres d’intérêt communs. Penser micro-influenceur et multi-niches : « j’ai un petit compte avec mes 2000 abonnés, mais j’ai beaucoup de likes pour le nombre de followers que j’ai, on me demande souvent si j’achète des likes » confie Emma, 18 ans. Toujours miser sur l’authenticité : les teens n’ont aucun problème avec les partenariats. En revanche la subtilité est de rigueur : « Y a des influenceurs tu vois très bien que c’est leur personnalité, mais d’autres ça se voit, ils sont faux » pour Imene, 15 ans. « J’aime bien quand la youtubeuse dit ce qu’elle pense vraiment, y en a plein elles sont hypocrites.» pour Séryne, 14 ans.

-Air of melty : De manière générale, confirmez-vous le fait que la jeune génération communique de manière plus visuelle (photo, gif, vidéo…) que textuelle ? Quelle leçon en tirer pour les marques en matière de construction de message ?

S.H : Oui ils communiquent beaucoup à travers les images… Quand on pense qu’ils peuvent échanger entre 100 et 300 Snaps par jour, leur production est évidemment pléthorique. Il est d’ailleurs intéressant de voir que le rapport à l’image est très différent selon le réseau social : Sur Snap, on est dans le « backstage » et on va donc tolérer des images floues, mal cadrées ou moches, ce n’est pas grave. En revanche, sur Instagram, l’éditorialisation est clé, on doit se mettre en valeur. Et d’ailleurs certains n’hésitent pas à mettre en place un comité éditorial pour recueillir l’avis de leurs amis les plus proches avant de poster tel ou tel selfie. Néanmoins on ne peut pas réduire leur communication à l’image seule. Les mots ont leur importance, et les « captions » qu’on utilise pour légender telle photo ou telle story doivent démontrer la pertinence ou l’ingéniosité de celui ou celle qui poste. D’ailleurs les captions sont souvent en anglais sur Insta, « parce qu’en anglais, c’est plus stylé ».

-Air of melty : Comment voyez-vous cette génération évoluer dans un avenir proche ?

S.H : Question très difficile, car leurs usages évoluent à une vitesse phénoménale. Une pratique qui avait cours il y a 6 mois peut être devenue complètement ringarde 6 mois plus tard. Néanmoins, nous sommes frappés dans toutes les interviews et les focus groups BETC Teens de la maturité des adolescents que nous interrogeons. Ils sont tous au fait de la protection des données, du cyber-harcèlement car ce sont des « professionnels » de ces réseaux, ils connaissent tous quelqu’un à qui c’est arrivé et la plupart d’entre eux se montrent très prudents. Dans un avenir proche, la question va sans doute être celle de la mesure : même s’ils sont conscients des problèmes du digital, beaucoup continuent à être connectés en permanence. Donc peuvent-ils passer de la connaissance à l’action ? On voit pointer de plus en plus, notamment dans les catégories les plus aisées, des adolescents qui sont moins portés par la connexion, voire refusent en bloc d’être sur Instagram ou Snap. Ce « digital well being » peut-il devenir mainstream ? Bien malin celui qui pourra le prévoir !