Heaven, « Les besoins fondamentaux des plus jeunes tournent autour de l’expérimentation de l’expression de soi » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 08 Nov 2018 à 12:45
Les Millennials et le Social Commerce, quelle réalité en 2020 ?
Snapchat, Instagram, Facebook, TikTok, le coeur des jeunes balance en cette année 2018 en matière de réseaux sociaux. À ce sujet, Emmanuel Berne, Directeur des études au sein de l'agence Heaven, a accepté de répondre à toutes nos questions pour mieux comprendre le rapport des moins de 20 ans aux réseaux sociaux et au mobile.

Que font vraiment les jeunes sur les réseaux sociaux ? En cette année 2018, c’est désormais une certitude, si vous cherchez la jeune génération, c’est sur les réseaux sociaux que vous la trouverez la plupart du temps. Alors que Snapchat et Instagram se mènent un duel sans fin dans le cœur des Millennials, nous vous parlions le mois dernier du fait que la très jeune génération est aussi particulièrement mature sur Snapchat, Instagram et bien plus encore. C’est une étude signée Heaven qui le montrait. Aujourd’hui, Emmanuel Berne, Directeur des études au sein de l’agence, nous en parle davantage dans le cadre de l’interview de la semaine !

-Air of melty : Les moins de 13 ans en 2018 sont la première génération à ne pas connaître ce qu’aura été la vie non-connectée. Quel impact cela a sur leur manière de vivre et de se comporter au quotidien ?

Emmanuel Berne, Directeur des études au sein de l’agence HEAVEN : En écoutant et observant les plus jeunes, on s’aperçoit très vite à quel point les outils et services digitaux leur apparaissent d’une grande banalité. À titre d’illustration, le réseau social au sens large est considéré comme une simple commodité, utilisé par tous ou presque et notamment par leurs parents qu’ils observent eux-mêmes penchés sur l’écran de leur mobile. Aussi, pour se distinguer des générations qui les précèdent, ou tout simplement évoluer sans entrave dans le monde digital, ils vont plus naturellement être attirés vers des services différents de ceux déjà préemptés par leurs aînés. Une autre conséquence à noter est une bien meilleure maîtrise de l’expression de soi en ligne que les générations précédentes. Même si tous ne deviendront pas de grands Youtubeurs, ils se seront tous au moins essayés avant ou au début de leur adolescence à créer des vidéos. On peut prédire une explosion des compétences dans ce domaine.

-Air of melty : Quel rapport a la jeune génération avec son mobile ?

E.B : Pour comprendre l’effet que peut produire le moment de réception de son premier smartphone, il faut regarder les vidéos YouTube d’unboxing de mobile par les plus jeunes, les explosions de joie que cela peut provoquer à l’instar de ce qu’on peut voir pour les consoles de jeux. Tous les enfants n’ont pas des réactions aussi extrêmes bien sûr mais obtenir son premier écran individuel matérialise une réelle prise d’autonomie et la promesse de pouvoir être plus connecté avec ses amis. Encore une fois il ne faut pas oublier les parents dans l’équation car bien sûr ce sont eux qui offrent le smartphone. Pour ces derniers, le mobile permet de se rassurer au moment de l’entrée au collège, de demander à leur enfant d’envoyer un sms lorsqu’il est rentré des cours, voire de les géolocaliser et maintenant avec iOS 12 de suivre leur activité en ligne … bref maintenir un lien avec son enfant.

-Air of melty : Les 7-12 ans passent en moyenne 6h10 chaque semaine sur Internet, soit 45 mins de plus qu’en 2015. Que consultent-ils sur Internet ?

E.B : On peut distinguer trois grands types d’usage. Le premier, et notamment pour les plus jeunes, est le jeu soit avec des casual games type Helix Jump soit des jeux vidéos beaucoup plus élaborés comme le phénomène Fortnite. Le deuxième usage est celui de la consommation de contenus de divertissement du type vidéos musicales, de gaming et les contenus humoristiques ou vlogs de Youtubers. Enfin le troisième usage est celui de la socialisation, les échanges via les messageries pour rester en contact quasi continu avec ses amis.

-Air of melty : Les 15-34 ans regardent également moins la télévision que par le passé (-20mins/j). Comment expliquer cette tendance ?

E.B : Selon la dernière édition de l’étude d’Ipsos Junior Connect’, la télévision reste l’écran préféré des moins de 13 ans mais de toute évidence le temps passé sur son smartphone diminue celui disponible pour regarder la télé. Le point le plus problématique que soulève l’augmentation générale du temps passé devant un écran par les enfants est l’impact que cela peut avoir sur la durée du sommeil.

-Air of melty : En cette année 2018, quelles sont les motivations des plus jeunes pour s’inscrire sur les réseaux sociaux ? Quelles sont leurs pratiques ?

E.B : Le premier facteur d’inscription aux réseaux sociaux est l’environnement social, les copains bien sûr mais aussi les grands frères et grandes soeurs dont la présence sur les plateformes incitent les plus jeunes à les rejoindre, à faire comme eux. Selon des chiffres 2018 de l’association Génération Numérique qui effectue de la prévention aux risques du digital (harcèlement, fake news…), dès l’année de 6ème, c’est à dire à 11 ans e moyenne, soit 2 ans avant l’âge légal d’inscription, plus de 50% des enfants sont inscrits à au moins un réseau social. Être présent sur les réseaux sociaux constitue donc une norme dès le début du collège jusqu’à devenir totalement incontournable avant l’arrivée au lycée. La première des pratiques sur les plateformes sociales est celui de l’échange avec ses proches. Outre les discussions amicales, les plateformes sociales servent également à discuter à propos de l’école, les cours, s’échanger la liste des devoirs, spéculer sur les absences de profs, les sujets d’évaluation voire bien sûr partager des corrections.

-Air of melty : Quels réseaux sociaux privilégient-ils ? Et sont-ils plutôt actifs (poster des contenus) ou plutôt passifs (consulter des contenus) ?

E.B : Le classement 2018 que nous avons établi pour les moins de 13 ans avec plus de 6000 répondants conforte la première place de Snapchat (+9 points par rapport à 2017) celui-ci est suivi par Instagram. Ces deux premiers réseaux sont d’abord utilisés pour leur fonctionnalité de messagerie et donc de façon active. Ils attirent également par le format Stories, éphémère par défaut et qui permet donc une expression plus libre. Vient ensuite Musically qui vient récemment de se muer en TikTok, lequel présente la spécificité des contenus type LipSync sur des extraits musicaux. L’usage majoritaire et notamment pour les garçons est celui d’une consommation passive car créer ce type de contenu peut-être très exigeant. Ce classement ne prend pas en compte Youtube, considéré comme une plateforme vidéo et non un réseau social stricto sensus.

-Air of melty : À l’inverse, quels réseaux sociaux ne les attirent pas et pourquoi ?

E.B : Nos chiffres mettent en évidence la différenciation très forte qui existe entre les usages des plus jeunes et ceux du reste de la population. Ainsi, Facebook apparaît seulement en cinquième position derrière WhatsApp même si l’écart entre les deux est très faible. En un an, l’attrait de Facebook a fortement baissé pour les plus jeunes. Les principales raisons qu’ils évoquent étant que Facebook est perçu comme un réseau “pour les vieux” et qu’ils ne voient pas l’intérêt de s’y inscrire alors que leurs amis n’y sont pas et qu’il ne s’y trouve pas de fonctionnalités qu’ils ne trouveraient par ailleurs sur Insta ou Snap. Toute la question qui se pose est de savoir si en grandissant ceux-ci vont s’y inscrire ou continuer à l’ignorer. Enfin, s’ils connaissent tous Twitter de nom, notamment par le biais de la présence de Youtubers ou de stars de la téléréalité, cette plateforme attire peu et cela pour les mêmes raisons que celles évoquées pour Facebook.

-Air of melty : Existe-t-il des différences entre les filles et les garçons ?

E.B : Comme sur beaucoup d’autres choses certainement, les filles sont en avance sur les garçons concernant le taux d’inscription aux réseaux sociaux (+8 points en 6ème). La grande spécificité des filles est leur usage de Musically, une plateforme sur laquelle elles sont ultra-majoritaires. Il va être intéressant de voir si la mue de l’application en TikTok qui a eu lieu cet été et la politique d’animation éditoriale qui sera conduite va amener plus de parité chez les utilisateurs actifs de cette app.

-Air of melty : Comment les jeunes perçoivent-ils la publicité sur les réseaux sociaux ?

E.B : Le degré de maturité à l’égard de la publicité sur les réseaux sociaux est très hétérogène, entre certains jeunes qui identifient très bien les posts publicitaires et d’autres qui ne les voient absolument pas malgré tout le temps qu’ils peuvent y passer. Cette absence de clairvoyance provient d’un désintérêt pour la question de la distinction entre contenu éditorial et contenu publicitaire et soulève l’importante question de leur éducation à la communication. Le format publicitaire qu’ils caractérisent et identifient le mieux est celui des contenus sponsorisés réalisés par des influenceurs. D’abord parce qu’ils sont très attentifs au contenu de ces personnalité et d’autre part du fait de la diffusion fréquente de codes promos, évidents à qualifier.

-Air of melty : Quels réseaux sociaux ou quels types de réseaux sociaux voyez-vous conquérir le coeur des jeunes ces prochains mois ?

E.B : Les besoins fondamentaux des plus jeunes tournent d’abord autour du jeu et de l’expérimentation de l’expression de soi. Un réseau social qui proposera de nouvelles formes d’interactions ludiques pourra capter les audiences des pré-ados. Ce n’est pas anodin que Facebook fasse la promotion de Kids Messenger en mettant en avant les filtres 3D disponibles. La question de la gestion des interactions anonymes revient très régulièrement sur le devant de la scène. Feu Sarahah, Secret, Whisper… qui ont connu de très fortes croissances d’usage avant de subir un contrecoup médiatique ou une disparition des stores. La solution qui saura proposer ce type de fonctionnalité tout en assurant un niveau optimal de protection des utilisateurs contre le harcèlement et les contenus dévalorisants pourra émerger. Si la question du bien être des utilisateurs de réseaux sociaux est un sujet clef en ce moment, celle-ci se pose avec d’autant plus de force pour les plus jeunes utilisateurs.