Marketing Mobile : Elodie Gentina, « Les Z sont beaucoup plus sélectifs, là où les Y sont plutôt excessifs » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 17 Nov 2016 à 12:35
Elodie Gentina est l’auteur du livre « Marketing et Génération Z ».
La génération Z est-elle vraiment accro à son mobile ? Combien de temps passe-t-elle sur ce support au quotidien ? Qu'est-ce que cela change pour les marques en matière de communication ? Elodie Gentina, professeur en marketing à SKEMA Business School et auteur de l'ouvrage "Marketing et Génération Z" répond à toutes ces questions dans notre interview de la semaine !

Les jeunes et le mobile, c’est une grande histoire d’amour qui ne cesse de prendre de l’ampleur auprès de la jeune génération, à tel point que l’on parle aujourd’hui de l’existence d’une addiction, baptisée « nomophobie ». Aujourd’hui, Elodie Gentina, professeur en marketing à SKEMA Business School et auteur de l’ouvrage « Marketing et Génération Z » (éditions Dunod), revient pour nous sur cette notion et sur le rapport plus global qu’entretient la jeune génération avec son smartphone. Génération « jamais sans mon mobile » plus que jamais confirmée !

-Air of melty : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres concernant l’usage du smartphone par la jeune génération ?

Elodie Gentina, professeur en marketing à SKEMA Business School et auteur de l’ouvrage « Marketing et Génération Z » (éditions Dunod) : Les enfants et adolescents nés après 1995 baignent dans un environnement numérique. Internet est devenu le média le plus prisé des collégiens et des lycéens. Ils passent plus de temps sur Internet que sur la télévision. En matière de chiffres, je peux vous dire que les 13-18 ans passent en moyenne 13h30 par semaine sur Internet. Ils sont aussi 75% à posséder un compte sur Facebook, 25% un compte Twitter et 15% un compte Instagram. Mais si Facebook est encore le lead dans les médias sociaux numériques utilisés par les jeunes, il est en perte de vitesse par rapport aux autres réseaux sociaux. Concernant les équipements en matière de smartphone, plus de 80% des jeunes possèdent un mobile. Et plus on avance avec l’âge, plus les chances de détenir un smartphone augmentent : alors que 49% des 12-13 ans sont concernés, ils sont 97% chez les terminales.

-Air of melty : Les 18-34 ans ont-ils tous un rapport similaire au mobile ou peut-on noter des différences entre les 18-24 ans et les 25-34 ans par exemple ?

E.G : Au sein de la génération Z, il y a une rupture qui se crée par rapport aux générations précédentes, avec les X et les Y, que l’on appelle les « Digital Migrants ». Ces derniers ne sont pas nés avec Internet mais ont dû s’adapter à Internet, contrairement aux jeunes Z, appelés « Digital Natives », qui sont nés avec le numérique. Dans cette logique, alors que le Y monopolisait l’ordinateur ou le smartphone familial, le Z va réclamer ses propres devices, pour avoir un accès constant au numérique. Autre différence que l’on note, c’est que les Z sont beaucoup plus sélectifs tandis que les Y sont plutôt excessifs, en voulant avoir un maximum de contacts sur les réseaux sociaux numériques. Ce qui intéresse les Z, ce n’est pas la quantité de contacts, c’est plutôt la recherche d’intimité et de qualité dans leurs relations. Ce qui explique notamment leur désintérêt pour des plateformes comme Facebook pour se diriger plutôt vers Snapchat, qui permet d’échanger avec un réseau privé, fermé que l’on entretient. Il existe aussi des différences en matière d’utilisation d’Internet : alors que les Y veulent surtout partager, les Z veulent également créer. Créer des contenus, des vidéos, des images, plutôt que de visionner, partager et copier ce que font les Y. Les Z sont beaucoup dans la créativité et dans la création.

-Air of melty : On parle beaucoup d’une jeune génération plus à l’aise avec les images qu’avec les mots, en quoi cela se répercute sur leur usage du smartphone et quel impact cela a sur les marques ?

E.G : Pour les marques, sauf exception, cela ne sert plus à rien d’avoir des positionnements avec des longs textes très réfléchis. Il faut vraiment aller directement dans le vif du sujet, illustrer des propos avec des images qui vont parler aux jeunes. C’est ce qu’a par exemple récemment fait Gemo, en lançant un tee-shirt connecté dont le motif change en fonction des actions du Z sur son smartphone. Avec une telle innovation, la marque essaie de communiquer directement avec le jeune, lui permettant d’exprimer sa personnalité, son identité. Les marques se doivent aujourd’hui d’être très créatives et de montrer aux jeunes qu’elles les comprennent. Ce que les jeunes aiment, c’est de s’envoyer des photos et, c’est une certitude, cela va au delà d’un besoin narcissique. C’est un besoin d’échanger avec les autres, de partager, de communiquer au-delà des frontières et du réel. Ces images qu’ils s’échangent leur renvoient de l’émotion, de l’affectif, une part de leur personnalité, à l’heure où ils sont en phase de construction. Créer des photos et des vidéos, et notamment des selfies, est, pour eux, comme se revêtir d’une seconde peau, que l’on contrôle complètement.

-Air of melty : Quel est le top 3 des choses que les jeunes font le plus sur le mobile ? Existe-t-il encore des pratiques ou services qui ne leur inspirent pas confiance sur ce support ?

E.G : Ce que les jeunes font surtout sur leur mobile, c’est aller sur les réseaux sociaux pour échanger/communiquer, poster/tchater et partager des photos/créer. La pratique qui leur inspire moins confiance sur ce support aujourd’hui, c’est l’utilisation de Facebook, dans le sens où ils n’arrivent plus trop à contrôler ce qu’ils disent. Ils ont besoin d’intimité et d’authenticité dont ils vont privilégier les réseaux sociaux qu’ils maîtrisent pleinement.

-Air of melty : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la nomophobie et en quoi elle concerne particulièrement les jeunes ?

E.G : Les jeunes sont en pleine phase de construction. Dans cette logique, la génération Z ressent un besoin de transcender les interdits. Or, transcender les interdits, c’est se diriger vers des addictions. Il s’agit par exemple de dépendance à l’alcool, au tabac ou encore aux drogues douces ou dures. De son côté, la nomophobie n’est pas recensée comme étant une addiction officielle, mais il s’agit bien d’une nouvelle névrose qui se répand dans notre société, au travers de la génération Z particulièrement : l’angoisse et la phobie de se retrouver sans son smartphone. La nomophobie (no mobile phobia), c’est la peur excessive de ne pas avoir accès et d’être séparé de son mobile et le fait de ressentir un sentiment d’angoisse dès qu’il y a un bug, dès qu’on ne peut plus recharger la batterie de son smartphone, etc. Une étude américaine a montré en 2014 que 80% des jeunes âgés de 14 à 15 ans reconnaissent être « accro » à leur mobile, en le consultant plus de 150 fois par jour. Pourquoi les jeunes sont particulièrement concernés ? Selon moi, parce qu’il s’agit d’une sorte de rite de passage moderne, à l’heure où notre société contemporaine a dû en réinventer. La consommation est devenue un moyen de soutenir les transitions du passage de l’enfance à l’âge adulte. Le jeune se retrouve alors au travers de micro-rites comme, par exemple, l’achat du premier mobile, qui va marquer le début de son émancipation par rapport à sa famille. Le smartphone l’aide à construire son identité, à s’ouvrir aux autres.

-Air of melty : Quel rapport les jeunes ont-il à la publicité mobile ? L’acceptent-ils ou, au contraire, cherchent-ils à la fuir encore plus que sur desktop ?

E.G : La jeune génération est souvent décrite comme étant une génération zapping, nomade et multisupport. Elle recherche une communication à 360° et a toujours besoin de la publicité. Mais, évidemment, elle a besoin de la publicité en instantané sur son téléphone portable car elle veut de l’instantanéité, de la spontanéité et de l’authenticité. Une étude Médiamétrie a récemment montré que 64% des jeunes déclarent avoir vu une publicité sur leur mobile au cours du mois écoulé, sans pour autant que l’on ait insisté pour qu’ils voient cette publicité. Aussi, 7 jeunes sur 10 sont prêts à recevoir de la publicité pour réduire leur facture de téléphone portable.

-Air of melty : Finalement, en quoi la présence des jeunes sur leur mobile en permanence doit-elle inciter les marques à transformer leurs stratégies marketing ?

E.G : Les marques doivent utiliser davantage la force du digital, tout en cherchant à créer des interactions réelles car c’est important de s’inviter dans la réalité avec les jeunes. Il ne suffit pas de lancer une page Facebook et de l’animer, il faut concevoir un véritable dispositif d’interaction, à l’heure où les Z sont plurimédias. La force du réseau, ce n’est pas uniquement le réseau numérique mais aussi le réseau réel. Aussi, les jeunes ont besoin de se sentir à part, privilégiés. Une communication efficace pour les jeunes, c’est une communication qui leur fait sentir la personnalisation. La communication doit aussi être nomade, à l’heure où les Z veulent être connectés à tout moment, et elle doit laisser place à la co-création. On a affaire à une jeune génération de pro-consumers ou conso-acteurs, qui veulent participer directement à la création des collections des marques. Enfin, la notion de crowdsourcing est à bien intégrer pour les marques : comment collecter un maximum d’idées auprès des jeunes ? On rentre dans une nouvelle logique, beaucoup plus d’usage que de marché. Les jeunes veulent partager une idée et la voir se concrétiser dans le monde du numérique.