Advergame : Olivier Pinard, « C’est auprès des 15-35 ans que l’on peut défricher des idées, faire des tests, innover » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 18 Fév 2015 à 15:57
L’advergame, tendance forte en 2015 !
Air of melty vous le répète régulièrement, les jeunes adorent les jeux vidéo ! Alors que nous vous parlions il y a quelques temps d'une génération gaming accro à la manette, il semble aujourd'hui que les marques aient de plus en plus décidé de miser sur cette tendance pour toucher et engager les jeunes. Olivier Pinard, spécialiste de l'avergame depuis dix ans, a accepté de repondre à nos questions sur le sujet, afin de bien comprendre l'enjeu autour du jeu publicitaire aujourd'hui.

Il y a deux semaines, la rédaction d’Air of melty assistait au salon crossmédia à Paris. L’occasion pour nous d’assister à une conférence dédiée aux campagnes publicitaires crossmédias, avec une conclusion très parlante : « le seul moyen de capter l’attention du consommateur aujourd’hui, c’est de l’immerger dans une campagne ». Pour ce faire, Olivier Pinard, l’un des intervenants de cette session, mise tout sur l’advergame, sa spécialité depuis dix ans. Il a accepté de répondre plus en détail à nos questions sur le sujet. Aujourd’hui consultant, il a co-dirigé le studio Yamago et a participé à la production de plus de 200 jeux pour des marques de grandes consommation (Disney, Danone), des agences de communications (Full6, MRM), des diffuseurs TV (Canal+, France TV), des ministères ou encore des lobbies. Il a donc une sacrée expérience à partager !

-En tant que génération gaming, les jeunes constituent-ils une cible privilégiée pour l’advergame ?

Avec l’advergame aujourd’hui, on peut toucher toutes les typologies de population. Par contre, les 15-35 ans ont un niveau d’exigence et une culture du jeu bien plus forts que les générations plus âgées. C’est donc une population auprès de laquelle il faut être plus intelligent dans la manière de faire, et plus prudent aussi, dans le sens où on ne peut clairement pas faire n’importe quoi. Mais c’est aussi auprès de cette population qu’on peut défricher des idées, faire des tests, innover. C’est avec cette génération-là qu’on va réussir à voir si ça prend ou si ça ne prend pas. C’est aussi avec elle qu’on peut faire les pires bides, car on ne peut absolument pas les prendre pour des idiots pour pour ce qu’ils ne sont pas.

-Peut-on créer de l’advergame sur n’importe quel produit, autour de n’importe quel message ?

On peut, si c’est bien fait. Ce qui est assez extraordinaire avec le jeu, c’est qu’on peut parler de tout et on peut en parler longtemps, ce qui permet d’entrer dans un certain niveau de complexité du discours. Mais ça implique d’avoir une bonne compréhension de qui est en face. Ce n’est pas, par exemple, parce qu’on va mettre un jeu de voitures que cette génération va accrocher, parce qu’ils jouent déjà à des jeux de voitures qui profitent de budgets beaucoup plus conséquents. Aucune marque ne peut s’aligner avec ça. Si on présente un jeu de voiture, il va falloir qu’il y ait quelque chose de plus, qui ne soit pas nécessairement dans le rendu graphique ou dans la précision, mais plutôt dans l’humour, dans une approche décalée, dans de la pertinence. On peut tout faire donc, mais sur la cible des 15-35 ans, on ne peut pas être médiocre. Il faut y mettre, non pas forcément les moyens, mais de l’intelligence.

-Lors du salon cross média auquel nous avons assisté au début du mois, vous avez parlé du jeu vidéo comme étant « un vrai média de communication ». Pourriez-vous expliquer davantage votre pensée ?

Finalement, on peut s’adresser à peu près à n’importe qui avec du jeu et on peut parler d’à peu près n’importe quoi avec du jeu. Le jeu, c’est une typologie très générale, qui inclut des quizz, des jeux de sport, d’action, de simulation guerrière, etc. Souvent, on a tendance à penser, par réflexe, que le jeu vidéo est une activité pour ado, plus ou moins violent et plus on moins speed. C’est trop réducteur. Quand on dit qu’un objet est un jeu vidéo, on a encore rien dit. On n’a pas dit à qui il s’adresse, à quoi il sert, ce qu’il raconte. Depuis quelques années, le jeu vidéo peut aussi être considéré comme une sorte d’outil qui diffuse des flux. De plus en plus de jeux sont des expériences communautaires, en ligne, où, finalement, le jeu continue sans cesse avec plein d’expériences différentes. Le jeu vidéo aujourd’hui a cette espèce d’ambiguïté, qui fait qu’il est plus qu’un produit culturel, il est aussi un média qui va permettre de transmettre un certain nombre de messages, d’images. Il est à la fois un contenu et un contenant.

-En quoi les réseaux sociaux ont pu participé à ce phénomène ?

L’explosion d’Internet, et donc des réseaux sociaux et des univers virtuels, génère un rapport aux médias extrêmement différent. Avant, on consommait un jeu, c’était comme un livre : une fois terminé, on le rangeait et on passait au suivant. On pouvait en parler avec ses amis, mais ça n’allait pas beaucoup plus loin. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ça génère beaucoup d’échanges tout en avançant dans le jeu et, du coup, ça permet de jouer plus longtemps en dépassant les simples limites d’une narration ou d’une mission à accomplir. Les réseaux sociaux changent donc tout, en effet, et participent au fait que les jeux sont devenus des médias en permettant d’entretenir des relations de plus en plus fortes.

-En 10 ans d’expérience dans l’advergaming, est-ce là la principale évolution que vous avez remarquée ?

Ce qui est assez étonnant, c’est qu’à la fois, le marché évolue, parce que les technologies évoluent, qu’on en fait de plus en plus, que les marques sont de plus en plus en demande de ce type de produit, etc, mais, malgré tout, ce qu’est l’advergame n’est pas intégré dans les agences de communication et au sein des marques de manière égale. L’advergame reste un sujet nouveau pour les gens du métier, qui sont pourtant censés maîtriser tout ça. On va avoir des interlocuteurs qui comprennent déjà ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, et d’autres qui, finalement, sont totalement novices sur la question et sont prêts à faire toutes les erreurs possibles qu’il ne faut surtout pas faire pour ne pas perdre ses utilisateurs et ses consommateurs.

-En parlant de ça, quelles sont les erreurs fondamentales à ne pas commettre en matière d’advergame ?

La plus grande erreur, et la plus classique, c’est de vouloir faire un advergame pour faire un advergame. Et c’est un cas extrêmement fréquent. Cela n’a aucun sens en matière de communication de faire un jeu pour faire du jeu. Ce qui a du sens, c’est de se fixer des objectifs et de vérifier que, ces objectifs, on peut les atteindre par du jeu, mieux que par d’autres médias. La deuxième erreur, c’est de penser que l’advergame est quelque chose d’autonome, ce qui est peu le cas. Très souvent, les jeux sont pensés comme un produit et les problématiques de diffusion et de transformation auprès des consommateurs ne sont souvent pas pensées et encore plus souvent pas budgétées. Et la troisième très grande erreur, particulièrement auprès des 18-35 ans, serait d’oublier que ces jeunes sont nés avec les jeux vidéo, y ont beaucoup joué et y jouent certainement encore beaucoup. Leur proposer un jeu de moins bonne qualité d’une expérience qu’ils ont déjà eue plus tôt, c’est rarement une bonne idée. Il faut faire en sorte que l’expérience d’advergame ne soit pas comparée à une vraie expérience ludique et qu’elle soit acceptée pour ce qu’elle est.

-On dit beaucoup que les marques souhaitant engager les jeunes doivent miser sur l’authenticité. Est-ce que cela s’applique à l’advergame ?

La notion d’authenticité ne me parle pas avec mon expérience et mon vécu, dans le sens où une marque qui veut communiquer de cette façon n’est pas dans une problématique d’authenticité mais de communication, en cherchant à se faire aimer. La question, c’est plutôt « Comment on arrive à penser une expérience ludique qui soit en accord avec le message et les valeurs de la marque sans être déceptif en termes d’expérience de jeu par les utilisateurs »? Et aussi, « Qu’est-ce qu’on va pouvoir proposer dans un budget raisonnable, qui permette aux utilisateurs d’être contents de leur expérience auprès de la marque »? Pour ça, en fonctionnant sur l’humour, ça marche relativement bien en général.

– On dit régulièrement que le rétromarketing, qui consiste à ramener les consommateurs vers leurs souvenirs d’enfance, est une tendance forte auprès des jeunes. Peut-on s’en servir dans l’advergaming ?

C’est très lié à la marque, puisqu’une marque vient nous voir avec une demande de positionnement dans une thématique précise. Ce n’est pas vraiment le travail des gens du jeu. Maintenant, force est de constater que c’est effectivement possible dans l’univers du jeu puisqu’il y a une tendance de fond, le rétrogaming, qui est une sorte de retour aux sources du côté graphique notamment et dans la typologie même du jeu. A mon avis, c’est en train de passer mais ça va peut-être durer quelque temps encore. Ces dernières années, tout le monde s’est mis à faire du social game, parce que cela offre de très grands avantage pour les marques en termes d’acquisition, de rétention, d’engagement des joueurs, etc. On peut en tout cas considérer qu’il y a une sorte de retour en arrière, avec des jeux de plateforme, un peu plus simples, mais on peut se demander si ce sont vraiment des jeux adaptés pour faire passer des messages. La force en matière de communication est beaucoup moins efficace, selon moi, mais tout dépend des objectifs de chacun.

-Justement, en parlant de message à faire passer, est-ce que l’advergame permet de véhiculer des messages plus complexes qu’une campagne publicitaire classique, ou se doit-il de toujours rester dans la simplicité ?

A ce sujet, il y a deux notions qui ne sont pas antinomiques. La première, c’est l’accès au jeu, dans le sens où il faut que, dès les tous premiers instants de jeu, celui-ci soit ultra efficace, facile d’accès et prenant car l’utilisateur a accès à des milliers de jeux, dont certains qui sont extrêmement bien faits. C’est valable pour tous les jeux, quels que soient les objectifs. La deuxième notion, c’est si on a envie de transmettre des messages complexes, de faire jouer le joueur longtemps. Il faut donc transformer ces premiers instants en une expérience suffisamment agréable sur le long terme pour arriver à communiquer plus d’informations.

-Quel impact a le modèle free-to-play/freemium, de plus en plus populaire auprès des jeunes, sur l’advergaming ?

Le free-to-play reste le premier concurrent de l’advergame. Avant, entre les jeux vidéo payants et les jeux vidéo publicitaires, il existait deux marchés très identifiés : l’un payant et très qualitatif, l’autre gratuit, publicitaire et qui forçait à se contenter de ce qu’on avait. Le problème que pose le free-to-play aujourd’hui, c’est qu’il donne accès à des jeux qui sont extrêmement bons, gratuitement. La concurrence est donc rude pour les marques, même si elles ont aussi appris des mécaniques du free-to-play, en matière de viralité et d’engagement.

-Quelle pourrait être la prochaine tendance en matière d’advergame, qui vous fait peur ou qui vous enthousiasme ?

Il y a une tendance sur le moyen terme qui se dessine, c’est qu’on va avoir, je pense, deux classes d’avergame : à la fois des advergames efficaces et très rapides à mettre en oeuvre, assez génériques et qualitatifs pour assez peu d’argent, avec des vrais objectifs calibrés, qui seront toujours les mêmes; à côté de ça, on aura des jeux beaucoup plus ambitieux, avec un véritable savoir-faire gaming, mais moins nombreux parce que moins de marques seront capables de se les payer. On va avoir un grand écart entre des expériences très simples et très courtes et des expériences plus complexes. Il y aura de moins de moins en moins de jeux moyens, comme cela a pu être le cas ces dernières années. La deuxième tendance qui, à mon avis, va mettre plus de temps à se mettre en place et m’enthousiasme énormément, c’est la gamification très large de tous les process de consommation : transformer l’expérience utilisateur d’un site d’e-commerce en expérience ludique qui va pousser à consommer plus, transformer votre expérience de carte de fidélité en supermarché en expérience ludique qui va faire que la boutique va vous connaître mieux, etc.

-Il y a les marques qui créent des jeux, mais il y a aussi les jeux qui attirent les marques directement sur leur plateforme, en incluant des publicités dans des mondes virtuels. Est-ce que ce fonctionnement est efficace auprès des jeunes ?

Cela va quelque peu au-delà de mon expertise mais je crois que ça fonctionne bien. On est dans une logique de produit, comme au cinéma, qui fonctionne sur une idée assez étonnante mais avérée : le monde moderne est tellement lié à la publicité qu’aujourd’hui, si on veut retranscrire la réalité d’un monde dans un jeu et qu’on ne met pas de publicité, les utilisateurs trouvent que ce n’est pas réaliste. Si on prend l’exemple de FIFA, faire un match de foot sans qu’il y ait de publicité autour du terrain, c’est pas réaliste, donc il faut des marques. C’est aujourd’hui une réalité, les jeux vidéo ont autant besoin des marques que l’inverse.