Benjamin Grange, « Les attentes des Millennials en matière de tourisme sont plus connectées, émotionnelles, authentiques » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 18 Mai 2017 à 11:15
Passer des vacances « Instagrammables », la priorité des jeunes voyageurs ?
Les jeunes adorent voyager, c'est une réalité aujourd'hui. Mais les marques ne le leur rendent pas forcément bien. Le secteur du tourisme peinet encore à satisfaire les réelles envies des jeunes voyageurs. Heureusement, pour Benjamin Grange, CEO de Dentsu Consulting, la révolution est en marche.

Les moins de 35 ans sont passionnés de voyages, la rédaction d’Air of melty vous en parle régulièrement, comme c’était le cas lorsque nous avons décrypté les dépenses, destinations et inspirations principales des 16-24 ans en la matière en décembre dernier. Mais les marques du tourisme ont-elles tout compris aux envies de cette jeune génération ? Pas vraiment, non. Au mois de mars, Benjamin Grange, CEO de Dentsu Consulting, a participé à l’élaboration du rapport Tourisme de l’Institut Montaigne, qui met en lumière l’urgence du secteur en matière de révolution digitale. En quoi cela est-il particulièrement vrai auprès des Millennials ? Le professionnel a accepté de répondre à nos questions.

-Air of melty : Votre rapport explique que, « d’ici à 2020, une partie significative des voyageurs seront des millenials, ces personnes âgées de 18 à 35 ans, nées avec le numérique, en quête d’instantanéité, d’authenticité, d’émotion et de personnalisation de leur expérience touristique ». Le secteur touristique français est-il prêt à répondre à cette demande ? Ou si non, quelle est aujourd’hui sa plus grande faiblesse ?

Benjamin Grange, CEO de Dentsu Consulting : En France, les millennials représentent déjà 23% de la population française et 12,7% des actifs. Sur le plan mondial c’est 32% de la population, ce qui en fait certainement la plus importante génération de voyageurs de l’histoire ! Et leur potentiel ne pourra que croître d’ici 2020, à la mesure que les « vieux » millennials (ou Génération Y) entreront dans leurs années de fort pouvoir d’achat. Concernant leurs attentes en matière de tourisme, plus connectées, plus émotionnelles, et plus authentiques, elles ne sont que trop partiellement prises en compte par les acteurs de la filière touristique. D’une part, il n’existe pas de suivi de leur nombre, de leur passage, de leur fréquentation, permettant d’améliorer les offres en continu; aussi, les parcours touristiques (Airbnb + SNCF + Parc de loisir, …) notamment thématiques (sport, nature / évasion, …) sont encore insuffisamment appréhendés; enfin, l’expérience proposée par les acteurs du tourisme est souvent en décalage avec leurs attentes, faute de moyen à allouer par ces acteurs, souvent écrasés par les respects de normes françaises. Maintenant, la prise de conscience est bien réelle et la France reste en seconde position des destinations touristiques, et ceci malgré les événements tragiques que nous subissons ces dernières années.

-Air of melty : Qu’est-ce qui caractérise le rapport des Millennials au tourisme en France, et qu’est-ce qui les distingue de leurs aînés (envie d’expériences, économie de partage, etc) ?

B.G : La première des choses, qui est forme d’évidence, est que le voyage des millennials commence par sa préparation sur Internet : recherche d’idées, collecte d’avis sur les sites et réseaux sociaux, etc… Et c’est là que l’approche des millennials est différente par leur souhait de disposer d’une offre personnalisée, presque sur-mesure ou unique. Or, le secteur du tourisme est un marché de l’offre, où pendant très longtemps, « l’offre a fait la demande ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui par le fait que les alternatives pullulent (Airbnb bien sûr, mais aussi Make it Travel, HelloTrip, GoCambio, Vizeat, …) à prix souvent plus compétitifs et perçus comme plus à la mode.

-Air of melty : Quelles sont les erreurs que font trop souvent les acteurs du tourisme en France quand ils s’adressent aux moins de 35 ans ?

B.G : Probablement, penser qu’ils savent ! Chaque génération a ses codes, ses mots, son jargon, qu’il est difficile d’appréhender sans en faire partie. La co-conception d’offres nouvelles et innovantes à destination des millennials ne peut se faire qu’en associant différentes générations, chacune apportant son savoir-faire : les millennials leurs attentes et les codes marketing à leur égard et les plus seniors leur expérience de la conception d’offre.

-Air of melty : A l’heure où le digital occupe une place de choix dans la vie des Millennials, où en sont les acteurs du tourisme en France ? Sur quels points doivent-ils accélérer leur révolution digitale : mobile, réseaux sociaux, sites de réservations, etc.. ?

B.G : Les réseaux sociaux, dans leur capacité à servir de caisse de résonance des expériences vécues, sont de plus en plus utilisés par les acteurs du secteur ; l’expérience sur les sites en ligne est également de mieux en mieux. Maintenant, on ne peut toujours pas considérer que cette expérience digitale ait encore rejoint les meilleurs acteurs du digital. Or la concurrence est à un clic !

-Air of melty : Le secteur du tourisme en France sait-il aujourd’hui miser sur le phénomène des influenceurs, qui passe en grande partie par le numérique ?

B.G : Oui ! A titre d’exemple et vis-à-vis des voyageurs chinois, cela fait longtemps qu’ADP s’appuie sur des influenceurs (comme « Gogoboi ») comme moyen de faire choisir une escale plutôt qu’une autre dans la compétition entre les grands hubs marchands aéroportuaires.

-Air of melty : Certaines régions ou certains secteurs du tourisme sont-ils plus en avance que d’autres en matière d’efficacité de communication auprès de la cible jeune ?

B.G : Certains bougent plus que d’autres, comme Accorhotels avec Jo&Joe ou CaptainTrain qui facilitent les voyages en Europe en proposant un circuit d’achat de billet simplifié. La dynamique vient souvent plus de l’initiative d’entreprises privés, quelle qu’en soit la taille, que d’une volonté coordonnée en provenance d’acteurs publics.

-Air of melty : Si vous deviez donner 3 conseils principaux aux acteurs du tourisme cherchant à engager les Millennials aujourd’hui, quels seraient-ils ?

B.G : A court terme il y a 4 incontournables pour doper l’économie du tourisme en France à l’heure de l’économie collaborative : co-concevoir avec des millennials les offres nouvelles ou les faire participer à la rénovation de celles-ci; penser parcours client d’un bout à l’autre, en ajoutant les plates-formes collaboratives comme éléments d’une expérience globale; inciter à la viralisation des expériences, en assumant les critiques le cas échéant et, enfin, alléger le poids des normes qui pèsent sur le secteur pour redonner de l’air aux acteurs historiques, leur permettant d’investir et d’innover davantage.