Marketing Personnalisé : « Nourris à la culture de l’ego, les jeunes s’attendent à être considérés individuellement » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 16 Oct 2014 à 08:18
Hervé Mignot a répondu à nos questions.
La semaine dernière, Air of melty assistait au HUBFORUM 2014. Pendant deux jours, les experts en communication et marketing se sont succédé sur scène pour évoquer les tendances du secteur. Parmi celles-ci, la tendance de la personnalisation des stratégies marketing a attiré notre attention, à l’heure où les jeunes attendent des marques qu’elles les traitent comme des clients uniques. Hervé Mignot, du cabinet de conseil en marketing et communication Equancy, a répondu à nos questions après son workshop dédié au sujet.

La semaine dernière, comme nous vous avions prévenu, la rédaction d’Air of melty s’est rendue au HUBFORUM 2014, à savoir le grand rendez-vous qui réunissait pour la cinquième année consécutive décideurs du marketing, de la communication et des ressources humaines, entre autres, afin de faire un point sur les tendances business du moment, autour du thème « Connect, Transform or Die ». Il y a quelques jours, nous vous dévoilions les 7 tendances du Social Media Marketing pour l’année 2015, évoquées lors d’un workshop du forum. Aujourd’hui, nous nous intéressons à une autre tendance forte qui, pour nous, devrait prendre toujours plus d’importance dans les mois à venir : le marketing personnalisé. Hervé Mignot, du cabinet de conseil en marketing et communication Equancy, a accepté de nous donner son avis d’expert sur le sujet.

-Avant tout, pouvez-vous présenter en quelques mots Equancy et votre rôle auprès des marques ?

Equancy est un cabinet de conseil en marketing et communication de 120 personnes, basé à Paris et opérant aussi à New York, Shanghai et Bangalore. Nous accompagnons nos clients dans la définition de leurs stratégies marketing, d’expérience client et digitale, et aussi leur implémentation. Nous avons une culture historique et importante de l’exploitation et de la valorisation des données pour éclairer et piloter ces stratégies. Nous aidons ainsi nos clients à utiliser leurs données et à déployer des solutions techniques pour les collecter, les analyser et les activer (interaction sur les canaux).

– En quoi la personnalisation de sa stratégie marketing est incontournable pour les entreprises ? Est-ce aujourd’hui une pratique indispensable ?

Plusieurs facteurs contribuent à faire de la personnalisation un sujet de plus en plus incontournable. La multiplication des canaux de contact fait qu’un même client va pouvoir interagir plusieurs fois avec nous, même au cours d’un même cycle d’achat. Il est important que ces interactions se fassent « sans couture », et qu’elles soient les plus pertinentes, les unes après les autres. Les canaux doivent donc pouvoir s’adapter, « se personnaliser » au contexte du client. Ce contexte comprend la motivation première du client, mais aussi son histoire avec nous, ses achats passés, etc. Pour illustrer ce point, prenons un exemple simple : le résultat des listes de recherche sur un site marchand. La plupart du temps, cette liste est la même pour tous les clients saisissant les mêmes mots-clés. Mais supposons que je recherche des chaussures pour courir des marathons, et que j’ai acheté plusieurs paires de la marque Asics auparavant. Il semble pertinent de mettre en évidence dans les résultats de recherche les modèles de cette marque. Dans cet exemple, c’est mon historique d’achat qui est pertinent, car il révèle un trait personnel : mon appétence à la marque Asics. Peu de sites sont capables de faire cela pourtant. La personnalisation est donc un avantage pour se différencier, pour créer une préférence par la proximité, la pertinence que l’on peut avoir. Particulièrement quand on est dans un secteur concurrentiel ou si l’on n’a pas des produits exclusifs et demandés.

-Est-ce particulièrement vrai pour les jeunes (15-30), réputés pour être particulièrement exigeants ?

Je pense que cette exigence s’applique d’une façon générale à ce que les jeunes attendent des marques. Nourris à la culture de l’ego, au rejet de l’uniformisation de la consommation de masse, ils s’attendent à être considérés individuellement. Peut-être que les générations plus anciennes sont aussi plus résignées quant à ce qu’elles peuvent attendre des marques et des enseignes !

-Par quoi passe par cette personnalisation ? Comment donner l’impression au consommateur qu’il est unique et donc traité comme tel par la marque ?

Personnaliser, pour nous, c’est prendre en compte l’ensemble des informations, des données, dont on dispose au moment d’une interaction avec un client, pour adapter le contenu de cette interaction (les messages que l’on va utiliser, les produits que l’on va proposer, les contenus que l’on va mettre en avant), et s’assurer ainsi qu’elle est la plus pertinente. Pour faire un parallèle simple, lorsque vous retournez voir un vendeur dans un magasin juste après avoir discuté avec lui, vous vous attendez à ce qu’il se souvienne de votre discussion et élabore la suite de l’interaction sur les informations que vous lui aviez communiqué. Personnaliser n’est pas donner à un client l’impression qu’il est unique, c’est s’assurer que l’interaction que l’on a avec lui est la plus pertinente.

-La personnalisation se fait-elle uniquement en ligne (email, SMS, outils de recommandation, etc), ou peut-elle aussi être efficace en offline : courriers, actions de street marketing ?

Les canaux digitalisés sont bien entendus les premiers candidats pour y réaliser des personnalisations, du fait même de leur flexibilité du médium. La page d’un site est une structure que l’on peut remplir avec des contenus personnalisés ou non. C’est plus compliqué sur le courrier, mais il est possible de variabiliser des impressions. Le développement des terminaux interactifs in situ permet aussi d’envisager des stratégies de personnalisation. Attention, tout ne doit pas être personnalisé. Certaines actions ont pour rôle d’ancrer la marque sur son territoire. Elles doivent donc être les mêmes pour tous. Donc par définition, ne pas être personnalisées.

-Qu’en est-il des bons de réduction, promotions et offres, de plus en sollicités par les jeunes ? Ce secteur représente-t-il un fort enjeu dans une stratégie de personnalisation ?

Les mécaniques promotionnelles de ce type sont plutôt, à mon sens, des formes d’aveu d’impuissance. Offrir un bon de réduction, c’est dire que l’on ne sait pas comment convaincre un prospect ou un client autrement que par le prix. Comme le prix est un levier universel, il est facile de se rabattre dessus, à défaut de savoir quoi dire pour comprendre le besoin d’un client et le convaincre. Par contre, on peut imaginer une approche plus fine du levier prix : trouver, par exemple, des bundles de produits particulièrement pertinents pour ce client (là, on personnalise), et assortir l’offre d’une incitation prix pour les rendre définitivement attractif. La personnalisation doit donc plutôt ressortir de mécaniques évitant justement de sacrifier de la marge pour convaincre !

-Les jeunes acceptent-ils bien les règles du jeu : données collectées en échange d’un parcours d’achat personnalisé ?

Ce qui semble évident, c’est que les jeunes n’ont pas de soucis à confier de larges pans de leur vie privée pour bénéficier des services proposés par les grands acteurs du web social, au premier rang desquels Facebook, Twitter & Google (surtout via YouTube). On peut donc dire qu’ils acceptent les règles de ce jeu-là. Ils savent même en jouer pour certains en multipliant leurs identités. Pourquoi ne pas anticiper que certains développeront la capacité, assistés d’outils, de développer des personnalités « virtuelles » pour flouer les algorithmes, et en tirer quelques avantages ?

-La personnalisation de la stratégie marketing, c’est une chose. Mais les jeunes semblent également réclamer des produits tout autant personnalisés, qu’ils peuvent customiser à souhait avant de valider leur achat. Comment l’expliquer et quel est l’enjeu d’une telle exigence de la part des jeunes ?

Il est important, je pense, de ne pas confondre personnalisation & « customisation » (faute de meilleur terme). J’entends par là que la personnalisation est l’adaptation des contenus, messages, offres, etc. à ce que l’on peut savoir du contexte dans lequel se trouve un prospect ou un client. D’un autre côté, la possibilité de « customiser » un produit répond plus à l’envie des clients d’avoir un produit unique, rompant l’uniformité de la production de masse, et permettant de se singulariser. Dans ce cas, c’est le client et non l’entreprise qui est à l’origine de l’adaptation (le client choisit les variations du produit, une sorte de personnalisation à l’envers, telle que je l’entends). Il y a un enjeu pour les grandes marques, les marques de masse, par nature uniformisantes, à offrir à leur client une façon de ne pas avoir le même produit que tout le monde. Il est clair que le développement de marques de niche dans de nombreux secteurs est la traduction de cette aspiration à des relations uniques & singulières. L’enjeu de la personnalisation est aussi de répondre à cette aspiration des clients à de la singularité, à de la pertinence.