Marketing : Raphaëlle Camous, « Ce n’est pas tant la technologie qui va surprendre un jeune mais l’idée » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 30 Oct 2014 à 09:35
Raphaëlle Camous , experte en génération Y !
Air of melty vous en parle régulièrement, la relation entre les jeunes et les marques est complexe, entre grande affection et désintérêt. Aujourd’hui, Raphaëlle Camous, spécialiste des modes de vie et de consommation de la génération Y, nous donne son regard sur cette jeune génération, qu’il convient de surprendre d’une toute nouvelle manière.

Spécialiste des modes de vie, des comportements de consommation et jeunes et des jeunes adultes (18-30 ans), Raphaëlle Camous accompagne depuis 5 ans aujourd’hui les entreprises et les organisations publiques dans la compréhension de ces publics et dans la conception de leurs projets à destination de ces derniers. L’experte en la matière a accepté de répondre à nos questions portant sur l’expérience client vue par les jeunes et sur leur rapport aux marques en général.

Une récente étude a montré que les jeunes attendent des marques qu’elles parlent moins et qu’elles montrent plus. En somme, qu’elles tiennent leurs promesses sans faire trop de blabla ? Cette forte attente est-elle une caractéristique forte chez les jeunes ?

Oui. C’est ce que l’on pourrait appeler aussi une relation donnant-donnant. C’est une attente que l’on retrouve dans de nombreux domaines et pas uniquement dans le rapport aux marques. La génération Y (19-32 ans aujourd’hui) attend des entreprises – soit en tant qu’employeur soit en tant que marque – que le contrat soit respecté quelle que soit la teneur de ce dernier. Si je suis une marque qui promet du prix, ou un certain style ou le respect de certaines valeurs, l’ensemble de mon offre doit respecter cet engagement. Pas d’état d’âme à abandonner une marque si elle n’a pas respecté cet engagement. A ce titre on peut souligner le fait que les jeunes Y sont prêts à fournir leurs coordonnées aux marques à condition que ces dernières s’engagent à leur faire bénéficier d’avantages particuliers. Selon une étude américaine (www.cnw.ca), 75 % d’entre eux sont plus enclins à choisir une marque qui offre un programme de fidélisation ou de récompense plutôt qu’une autre qui ne le fait pas. Nous sommes bien dans cette relation donnant-donnant.

Selon vous, quels sont les ingrédients qui permettent une bonne expérience client dans l’esprit des jeunes : est-ce une expérience qui passe par le conseil, l’écoute, l’accueil ou plutôt un service client efficace ? Qu’attendent les jeunes lorsqu’ils sont sur le point d’effectuer un achat ?

C’est une très bonne question et il n’est pas facile d’y répondre, d’autant plus que les parcours d’achat des jeunes sont souvent complexes. Ils achètent de plus en plus en ligne, ou consultent leurs mobiles dans les points de vente (showrooming) pour comparer les prix et avoir des avis de consommateurs, sans compter le selfie que l’on prend et que l’on envoie à un ami pour avoir son avis. Bref, pas évident de savoir vraiment ce qu’ils attendent au moment de l’achat à l’heure où l’on sait déjà que le conseil du vendeur importe pour à peine un quart des acheteurs quelle que soit la tranche d’âge. Dans le cadre d’un achat en point de vente, j’ai tendance à penser qu’il s’agit plus de l’expérience vécue : musique, ambiance, nouveautés dans le point de vente, concept original et innovant, interactions avec le digital … Je ne suis pas convaincue que les composantes classiques de la relation client (écoute, conseil, accueil) soient les plus efficaces car ils comptent plus sur leur réseau ou les avis d’internautes pour le conseil et l’écoute par exemple. A mon sens, au moment de l’achat, ce qui compte c’est de ne pas se tromper et de ne pas « se faire avoir » en terme de prix d’où là encore l’importance d’Internet (pour vérifier s’il n’y a pas un meilleur prix ailleurs) et du réseau.

Selon une récente étude canadienne, plus de 8 jeunes sur 10 se disent prêts à acheter davantage dans un commerce qui leur proposerait des rencontres avec des experts du domaine concerné (alimentation, beauté, technologie) dans leur programme de fidélité. C’est ce qui s’appellerait « l’expérience shopping tactile ». Est-ce que ce chiffre vous fait réagir ? Pensez-vous que c’est en effet une manière d’améliorer l’expérience client des jeunes ?

Nous savons que 75% des jeunes américains plébisciteraient plus une marque qui proposerait des avantages dans le cadre d’un programme de fidélisation : les chiffres ne sont pas très éloignés bien que les études soient différentes et que celle-ci concerne un commerce. Cette expérience représente une manière d’innover et de proposer quelque chose de différent et de personnalisé. Cependant la question que cela pose est de savoir qui est considéré comme « expert » par les jeunes : est-ce un bloggueur connu ? Est-ce un médecin (dans le cas de l’alimentation) ? Est-ce une marque ? C’est une solution mais à mon sens elle a une durée de vie limitée dans le sens où les jeunes attendent de l’innovation, ils veulent être surpris : ce qui surprend un temps peut devenir à la longue une sorte d’habitude. Dans ce cas, la rencontre avec des experts, si elle se répète trop souvent, devient progressivement la norme, elle fait presque partie du service et donc il faut trouver à nouveau autre chose ….

A l’heure où les jeunes passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et alors qu’ils incarnent une génération largement influencée par ses pairs, quel est l’enjeu du bouche-à-oreille numérique pour les marques ?

C’est à mon sens un enjeu majeur pour une marque qui souhaite toucher cette génération mais l’exercice n’est pas simple. Premièrement il faut réussir à fédérer autour de sa marque des jeunes qui ont envie d’en être les acteurs, les ambassadeurs : obtenir des millions de like est une chose (pas inintéressante certes en termes d’image), mais obtenir des internautes qu’ils participent, proposent du contenu et deviennent des « médias » à part entière pour la marque en est une autre. Deuxièmement il faut être vigilant et réussir à générer un bouche à oreille spontané, qui vienne réellement des jeunes eux-mêmes : la manipulation éventuelle des « like » ou du contenu est une chose qui passe très mal auprès de cette génération qui attend des marques transparence et honnêteté.

On dit largement que, face à un quotidien morose, les jeunes recherchent de plus en plus à vivre des expériences uniques. Comment les marques peuvent-elles se servir de cela pour séduire les jeunes ?

Les jeunes attendent surtout des marques qu’elles les surprennent : l’expérience doit être originale, innovante, ne pas se prendre au sérieux et éventuellement privilégier les fans de la marque. Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui ce n’est pas tant la technologie qui va surprendre un jeune mais l’idée. La notion de quelque chose qui n’a pas encore été fait ou vu est un moyen de créer la différence, d’être identifié comme une marque cool. A condition bien sûr que cela corresponde à l’identité de la marque et au contrat qu’elle propose comme nous l’avons déjà évoqué.

Quid du fait que les jeunes constituent une génération de NOwners, qui préfèrent la location à la propriété ? Les marques s’adaptent-elles bien à ce phénomène ou sont-elles en retard ? Et selon vous, cette tendance à la location s’inscrira-t-elle dans la durée ?

Tout d’abord je pense qu’il faut un peu nuancer le propos. Dire qu’il s’agit d’une génération de Noowners me semble un peu précoce : nous sommes face à une population qui est encore jeune, qui peine à rentrer dans la vie active et qui a des moyens financiers limités ce qui peut aussi expliquer le fait de rechercher l’usage plus que la possession d’un bien. La question qui se pose est de savoir si nous sommes face à un mode de consommation que l’on adopte pendant une période donnée de sa vie parce que l’on n’a pas vraiment le choix (phénomène que l’on retrouve chez des personnes plus âgées mais contraintes financièrement), ou si il s’agit d’une nouvelle approche de la consommation qui va perdurer même quand ces jeunes auront acquis une certaine aisance matérielle et qui serait fondée sur des valeurs de solidarité, de partage, de création de lien social et sur une préoccupation environnementale. On peut supposer que si ces modes de consommation sont acquis pendant cette période particulièrement importante de la vie, il y a des chances qu’ils perdurent, en tout cas pour certains d’entre eux. Quant aux marques – si on exclue les acteurs qui ont développé des « business models » sur ce type de consommation (blablacar ou air b&b par exemple) – elles me semblent plutôt être en retard sur le phénomène mais cela peut se comprendre aisément dans la mesure où il paraît difficile pour une marque de vêtements haut de gamme, par exemple, de proposer de la location quand son modèle économique est construit sur la vente.