Marketing : Spread, “La particularité des jeunes, c’est qu’ils switchent plus vite“ (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 15 Oct 2015 à 12:03
Olivier Martineau, Président de Spread.
Qui dit jeudi dit interview de la semaine ! Aujourd’hui, c’est Olivier Martineau, Président de Spread, dont la mission est d’aider les marques à créer de l’engagement client, qui a accepté de répondre à toutes nos questions concernant le rapport des jeunes aux marques. Le switch est à l’honneur, par ici !

Le mois dernier, la rédaction d’Air of melty se rendait au salon du e-commerce, pour écouter plein d’experts aborder différentes thématiques autour du marketing digital et pour en faire un compte-rendu complet. L’occasion, par exemple, d’apprendre que « L’email marketing est loin d’être mort, contrairement à l’emailing de masse ». L’occasion aussi, durant cette journée, d’assister à l’intervention d’Olivier Martineau, de Spread, abordant le sujet de l’omnicanal. Aujourd’hui, il répond à nos questions sur le rapport des jeunes aux marques.

-Air of melty : Pouvez-vous présenter Spread et sa mission ?

Olivier Martineau, Président de Spread : Spread est né de l’idée que les clients passent de plus en plus de temps sur les réseaux sociaux, et que quand on est une marque, il est difficile d’entretenir de la relation et de la conversion avec eux. La mission de Spread, c’est d’aider les marques à créer de l’engagement client. Créer de l’engagement, c’est développer la fidélité envers la marque mais aussi mettre en œuvre un contexte favorable à la recommandation. Le tout basé sur une vraie démarche de connaissance.

-L’idée reçue veut que les jeunes sont ultra connectés en permanence. Cela impacte-t-il réellement leur parcours d’achat aujourd’hui ? Dans quelle mesure ?

O.M : Aujourd’hui, la notion de “online” et de “offline” n’existe plus. A cause du mobile, on a une continuité de la connexion. Cette continuité fait que le parcours d’achat est forcément modifié. Évidemment les jeunes sont ultra-connectés, mais ils sont plus connectés entre eux, et pas forcément plus connectés avec la marque. C’est une des difficultés. Avec tous les messengers, les snapchats. Tout ça ce n’est que du messenging. La particularité des jeunes, c’est qu’ils switchent plus vite. Ils passent plus vite d’une chose à une autre par rapport aux générations plus anciennes, qui “gardaient” leurs habitudes plus longtemps. Les jeunes ont une véritable adaptation au changement. Ils sont passés de MSN pour certains à Facebook, à WhatsApp, à Twitter et d’autres encore… Le changement est très rapide.

-On parle de beaucoup de différentes notions aujourd’hui : multicanal, omnicanal, no canal… Quel terme privilégiez-vous et pourquoi ?

O.M : Dans toute la problématique de gestion de canaux il y a deux choses. Il y a d’abord les canaux de distribution. Les canaux de distribution existent et sont forcément construits de façon différente. Quand on fait de la vente sur un site de e-commerce, ce n’est pas la même chose que dans un magasin. Il y a une expérience qui est différente et une organisation qui est différente pour l’entreprise, donc forcément une communication qui va être adaptée. Maintenant, si on parle de multicanal, ominicanal, no canal… Alors no canal, ça veut dire que l’on traite tout de la même façon, c’est complètement idiot, et surtout ce n’est pas possible. Multicanal, signifie que l’on crée des cloisons, des silos avec les différents canaux. Chaque canal ignorant celui d’à côté. C’est ce que l’on a fait en 2000 : malheureusement on imaginait que les clients n’étaient pas les mêmes d’un canal à l’autre. Mais en fait, ce sont les mêmes. Alors moi, je me rapproche plus de l’omnicanal. On se dit voilà, on part entre guillemets dans tous les sens et on gère pour que ce soit fait de façon “fluide”. Mais la vérité est plus sur la continuité et le switch rapide entre l’ensemble des canaux. Et c’est ça qui fait que l’on va arriver à reconnecter les jeunes de façon permanente avec la marque.

-En quoi les marques doivent-elles aujourd’hui digitaliser leurs points de vente ? En quoi cela est-il particulièrement crucial auprès des moins de 30 ans ?

O.M : Clairement, les moins de 30 ans ne comprennent pas qu’il n’y ait pas de continuité entre le point de vente physique et Internet. C’est très important. En même temps, la digitalisation du point de vente couvre tellement de choses que c’est une vraie complexité. Et pour moi la digitalisation du point de vente passe par la poche. Qu’est-ce qu’on a dans la poche : son smartphone. Pourtant, actuellement il y a peu de choses qui sont faites dans la continuité entre le online et le offline grâce au terminal mobile. Il y a plein de choses qui se testent mais c’est un peu compliqué. Après, mettre en place des écrans, des bornes, etc… ça ne présente aucun intérêt pour les jeunes. Ils ont de toute façon les infos dans la poche. Mais proposer des interactions intelligentes avec les mobiles en magasins, là il y a un vrai challenge. Et le gros challenge, c’est justement d’occuper leurs mains (et leur esprit) sur leur portable avec la marque et pas avec leurs amis, ce qui risquerait les faire switcher, comme nous disions tout à l’heure. L’enjeu, c’est que si le portable n’est pas connecté avec la marque, il sera forcément connecté avec leurs amis. Après, trouver le moyen qu’ils se connectent avec leurs amis et la marque est un super big challenge. A mon avis il n’y a encore personne à l’heure actuelle qui ait réussi à faire quelque chose comme ça. C’est certain, les marques arrivent à s’installer dans Instagram et même Snapchat mais, pour l’instant, ce n’est pas ce qu’on peut appeler la digitalisation du point de vente, c’est plus du branding.

-Au salon du e-commerce, vous avez déclaré que « la marque n’est plus maître de sa communication, à cause du mobile » qui s’invite de plus en plus magasin. Pouvez-vous expliciter votre pensée ? Quelle est la place du mobile dans le parcours d’achat des jeunes ?

O.M : Auparavant, quand on allait à la FNAC, on était dans l’offre produit de la FNAC. Aujourd’hui, quand on est à la FNAC, on va sur son mobile, on cherche un produit et on tombe sur tout sauf la FNAC. Parce que la FNAC ne propose pas le contenu numérique correspondant au produit qu’on a en magasin. Encore une fois il y a une problématique de connexion entre le magasin et le mobile. Et celui qui va réussir cette connexion va réussir à conserver le jeune dans son interaction. Et comme les jeunes sont hyper socialisés numériquement, on en revient au problème du switch. Ils vont passer sur autre chose et sortir de leur expérience d’achat. D’où la nécessité d’avoir une expérience d’achat innovante pour les jeunes. Pour les embarquer davantage et réussir à les maintenir dans cette connexion avec la marque. Quand on pense, en plus, que les sites leaders réalisent d’ores et déjà 21% de leur chiffre d’affaires grâce au m-commerce, selon les chiffres de la FEVAD, on ne peut plus nier le poids du mobile dans l’acte d’achat. Et c’est d’autant plus vrai pour les jeunes qu’ils sont mieux équipés, notamment de smartphones optimisés pour une expérience d’achat (écrans plus grands, etc…).

-La jeune génération est-elle ouverte à toute innovation digitale auprès des marques ou existe-t-il certains sujets qui peinent toujours à être acceptés ?

O.M : Une étude Havas a démontré que seulement 7% des personnes interrogées regretteraient que leur marque préférée disparaisse. L’innovation est donc importante, mais ce n’est pas la clé. L’attachement à la marque, ça, c’est quelque chose d’essentiel. Effectivement, l’attachement passe par le fait de régulièrement proposer de nouvelles expériences et de nouvelles interactions. Et si ces expériences sont innovantes et développent l’attachement à la marque, ça devient intéressant. En ce qui concerne les freins, je préfère prendre la question à l’envers : les jeunes sont beaucoup moins réticents à libérer de la donnée sur eux pour en tirer des avantages, par rapport aux générations plus anciennes. C’est une véritable aubaine, car en cela, les marques peuvent réellement innover en apportant une valeur ajoutée basée sur la connaissance des jeunes. Il faut les écouter pour pouvoir mieux les comprendre et ensuite proposer une expérience adaptée.

-On dit beaucoup que les moins de 35 ans attendent aujourd’hui des marques qu’elles leur fassent vivre des expériences uniques. Qu’en pensez-vous, a-t-on affaire à une génération plus exigeante que les précédentes ? Comment faire pour la satisfaire toujours plus ?

O.M : Une génération plus exigeante, pas forcément, mais moins attachée, ça c’est certain. En même temps, il y a une concurrence entre les marques aujourd’hui qui est assez folle. En fait, les marques veulent s’attacher les jeunes pour plein de raisons. Pour un futur potentiel de chiffre d’affaires, pour des questions d’image, et aussi de croissance et d’adoption rapide. Mais en même temps ça switche aussi vite. Et les marques qui sont délaissées, ça va aussi très vite. On le constate facilement. Il y a des marques qui sont tendance et finalement assez rapidement ce ne sont plus les jeunes qui les achètent, ce sont les plus de 35 ans qui les récupèrent et finissent par les faire vivre. Du coup c’est un peu la surenchère de la part des marques. Encore une fois, c’est la notion d’attachement sur la durée qui est très difficile à créer avec les jeunes, avec un manque de fidélité absolu à une marque. On parlait de connaissance tout à l’heure. La connaissance est l’une des clés pour mériter l’engagement des jeunes. Désormais on ne peut plus se contenter d’être dans une logique de push. Ils ont pris le pouvoir, pris la parole sur les réseaux sociaux et exigent d’être entendus. En exploitant ce potentiel de connaissance, les marques deviennent plus flexibles, plus agiles, et disposent de vraies cartes en main pour les satisfaire.

-Quel est l’enjeu autour de la personnalisation aujourd’hui ?

O.M : La personnalisation est parfaitement en accord avec la notion d’expérience unique. Sur les jeunes il y a des cycles classiques. Pendant l’adolescence, c’est l’assimilation, c’est à dire qu’ils se ressemblent tous. Ensuite, quand ils grandissent, l’objectif c’est de ne plus ressembler à personne. Et c’est là qu’intervient la personnalisation. C’est plutôt sur ce deuxième âge, la post-adolescence, où l’on veut avoir sa propre identité, son propre look. Et, à ce moment-là, les marques doivent proposer une expérience qui correspond, qui permette de personnaliser l’ensemble des produits. Les marques doivent offrir une relation qui soit personnalisée, ça ne doit pas être une relation de masse, sinon ça ne marche pas et le développement de l’engagement ne se fait pas. Et encore une fois, ils switchent. Un peu à la Tinder. On assiste à un effet Tinder sur les marques : la marque ne me plaît plus, elle ne m’a pas répondu… je zappe.