Olivier Roubert, « Les jeunes ne font pas qu’utiliser l’image, ils la construisent aussi » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 11 Août 2016 à 06:18
Les jeunes et le mobile, ça matche !
Génération selfies, emojis et compagnie à l'honneur ! Olivier Roubert, consultant en images et spécialiste de la construction des images, répond à nos questions pour vous aider à comprendre toujours plus comment les moins de 30 ans utilisent la photo et la vidéo dans leur communication au quotidien. Aucune marque ne pourra y échapper !

Génération selfies, emojis et compagnie à l’honneur ! En juin dernier, la rédaction d’Air of melty vous dévoilait les résultats d’une étude menée par OpinionWay et Ooshot mettant en lumière le fait que la photo est aujourd’hui le premier vecteur de valorisation des marques auprès des moins de 30 ans. A ce sujet, aujourd’hui, Olivier Roubert, consultant en images et spécialiste de la construction des images, a accepté de répondre à nos questions afin de mieux comprendre le rapport de la jeune génération à la communication visuelle. Avec l’essor de la photo et de la vidéo, les jeunes ont-ils lâché la communication textuelle ? C’est bien plus compliqué que cela !

-Air of melty : De façon générale, on estime que les moins de 30 ans sont beaucoup plus à l’aise avec une communication visuelle plutôt qu’avec une communication textuelle. Pouvez-vous confirmer cette idée aujourd’hui ?

Olivier Roubert, consultant en images : Vous avez complètement raison de parler de communication visuelle, dans le sens où, comme le dit André Gunthert dans « L’image partagée : la photographie numérique » paru en 2015, l’image, et particulièrement pour les moins de 30 ans, est un nouveau langage, un nouvel outil de dialogue, de mise en relation. C’est un moyen de reconnaissance et de validation du fait que l’on partage les mêmes références, les mêmes valeurs. Ce nouveau langage est rendu possible par la révolution numérique, l’essor des smartphones et des réseaux sociaux. Quand on pense qu’Instagram est né en 2010, on se rend compte qu’un jeune qui a 15/16 ans aujourd’hui a grandi avec l’application dédiée à l’image. En cela, le jeune ne considère pas l’image comme l’image en soi, mais comme étant une image qui est support de la conversation. Une autre chose intéressante, c’est que, clairement, l’objectif pour cette génération de Digital Natives, c’est de s’emparer de cet environnement visuel pour ne pas le subir et ne pas se laisser imposer une image ou un discours. Ils ne font pas qu’utiliser l’image, ils la construisent aussi, au travers de tous les mash-up, les memes, les emojis et les GIFs qui envahissent leurs conversations.

-Air of melty : Comment cette communication visuelle se combine-t-elle à la communication textuelle ? Les deux sont-elles incompatibles ?

O.R : Absolument pas, je n’oppose absolument pas les deux types de communication. Le texte fait quoi qu’il en soit partie de la conversation des jeunes. Il peut être initié par une image mais il est bel et bien présent. Il suffit de voir le nombre de commentaires qu’il y a sur les réseaux sociaux dès qu’une personne influente de leur culture ou de leur génération s’exprime : ils n’ont aucun mal à répondre de façon textuelle, même s’il s’agit parfois d’un méta-langage (texto) ponctué d’émojis ! Les jeunes savent très bien jongler entre les deux types de communication, et c’est ce qui fait leur particularité !

-Air of melty : Plus précisément, comment se comportent les jeunes sur les réseaux sociaux ? Privilégient-ils toujours l’écriture ou se tournent-ils de plus de plus vers de l’image et rien d’autre ?

O.R : Une image en soi est incomplète, ce n’est pas une forme qui peut exister de façon isolée. Elle se révèle dans un noeud de relations, dans un réseau d’affinités. Pour qu’elle existe, je dois venir la compléter avec mon histoire, ma culture, mes références. C’est valable de tout temps, pas seulement aujourd’hui. L’image prend sa forme définitive avec la légende et avec les commentaires qui se trouvent autour d’elle ! Snapchat connaît une évolution parfaitement en ce sens, en combinant habilement image et texte, en permanence. L’image est une porte d’entrée vers la conversation.

-Air of melty : Comment expliquer que les 18-24 ans soient aujourd’hui ceux qui accordent le plus d’attention aux photos sur le site d’une marque, selon l’étude OpinionWay ? Est-ce lié à la manière dont ils ont grandi, à l’environnement qu’ils cotoient chaque jour ?

O.R : Selon moi, c’est simplement une question de bon sens. Pour eux (et pour tout le monde), l’acte d’achat est un acte de plaisir et de satisfaction, donc on a besoin d’être séduit. Et c’est plus facile d’être séduit par la chair d’une image, sa couleur, l’émotion qu’elle suscite plutôt que par des caractères noirs sur un fond blanc. Aussi simple que ça !

-Air of melty : Comment expliquer que la vidéo n’attire pas les jeunes (0% chez les 18-24 ans et 5% chez les 25-34 ans, selon l’étude OpinionWay pour Ooshot) alors que cette cible est la plus grande consommatrice de vidéos en lignes aujourd’hui ?

O.R : Je pense que la réponse à cette question n’illustre pas la réalité de la jeune génération. Selon moi, les moins de 30 ans ne font pas la différence entre la photo et la vidéo. On le voit, le format vidéo s’impose de plus en plus, partout. L’exemple le plus parlant du moment, c’est Instagram, qui était avant tout un site de photos et qui permet aujourd’hui le partage de vidéos d’une minute. C’est une façon d’être le plus près possible de la vie, de faire que le filtre entre sa vie à soi et la vie exposée soit le plus étroit possible. On le voit aussi dans le fait que chaque réseau social a désormais son service de live streaming, ou presque…

-Air of melty : Quels conseils pourriez-vous donner aux marques aujourd’hui, en matière d’utilisation de l’image aujourd’hui : quels do’s and dont’s ?

O.R : Très franchement, ce que je conseillerais à toutes les boîtes, c’est de mettre un Digital Native à la direction de la communication de l’entreprise. Que ce soit Yves Saint-Laurent, Citroën ou Nike, ça me paraît être la clé ! Une telle révolution est en train de se jouer au niveau des mentalités et le passage est tellement lent que, pour qu’il se fasse, il faudra réellement que cette jeune génération arrive dans les directions. Alors que les agences de communication sont souvent trop centrées sur le produit, le Digital Native part surtout de son propre désir, avec un discours plus personnel, parce qu’il a envie, en tant que consommateur, qu’on lui parle à lui, directement. Et ça change beaucoup de choses ! Il existe aujourd’hui chez les jeunes une certaine défiance envers la professionnalisation d’un métier (photographe) qu’ils connaissent parfaitement puisqu’ils le pratiquent tous les jours. Cette idée qu’on leur imposerait une image stéréotypée ne tient plus puisqu’ils peuvent la décoder parfaitement et donc s’en méfient forcément. Ils réclament des discours plus naturels, plus authentiques.

-Air of melty : L’étude d’OpinionWay montre que les jeunes Français préfèrent les photos qui suscitent l’émotion. Quel type d’émotions une photographie doit-elle aujourd’hui véhiculer pour engager ces jeunes ?

O.R : Avant toute chose, je dirais que, dans la notion d’émotion, il y a une part de reconnaissance visuelle de ce que l’on connait déjà. Je suis ému par ce qui me touche, mais ce qui me touche c’est quelque chose de familier que je reconnais dans l’image. L’image est un réseau d’affinités ou de répulsion qui pousse à réagir. Il n’existe pas de typologie univoque par rapport à l’émotion. Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’elle devient, devant la raison, le vecteur principal d’adhésion à un discours. Et c’est particulièrement vrai chez les jeunes, qui fonctionnent beaucoup à l’instinct.