Philippe Goetzmann, « La consommation devient identitaire, portée par des marques plus segmentaires » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 12 Avr 2018 à 11:01
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Vous avez l'impression que le grand public, et notamment la jeune génération, ne consomme plus de la même manière que ses aînés ? C'est normal, selon Philippe Goetzmann, Directeur des Relations Institutionnelles chez Auchan et auteur d'un post sur le sujet sur LinkedIn, il serait temps que les grandes marques comme L'Oréal changent de slogan pour mieux s'adapter aux nouvelles attentes des consommateurs ! On fait le point avec lui sur ce sujet.

Entre tradition et innovation, il n’est pas toujours simple de comprendre où se situent les Millennials, aux profils multiples, en matière de consommation en cette année 2018. Et si c’était tout simplement parce que le monde du marketing est également en train d’évoluer en même temps qu’eux ? Suite à un post LinkedIn plein de pertinence, Philippe Goetzmann, Directeur des Relations Institutionnelles chez Auchan, a accepté de répondre à nos questions sur le sujet pour évoquer les grandes tendances du moment, entre besoin de personnalisation, valeurs des marques et expériences.

-Air of melty : Dans un récent post sur LinkedIn, vous expliquez que, aujourd’hui, le client ne dit plus « Parce que je le vaux bien » mais « Parce que moi je veux autre chose ». Pouvez-vous expliciter votre pensée sur le besoin de personnalisation du grand public en 2018 ?

Philippe Goetzmann, Directeur des Relations Institutionnelles chez Auchan : Ce que l’on a appelé la grande consommation correspond à un âge sociologique allant globalement des années 60 aux années 2000 avec un paroxysme entre 70 et 2000. C’était une période de fort développement du niveau de vie, où chacun aspirait à avoir des biens auxquels il n’accédait pas nécessairement. « Je veux avoir la même chose que mon voisin ». D’où le « parce que je le vaux bien », moi aussi ! C’est particulièrement net sur les biens d’équipement. C’est vrai aussi sur les marques de grande consommation qui se développent considérablement avec les plus fortes, les plus emblématiques, écrasant les autres. La crise de 2008 a accéléré la quête de sens, en challengeant dès lors la consommation. Mais ce qui me paraît le plus important c’est que, en fait, hormis une part assez limitée de la population, chacun accède aujourd’hui à tout ou presque. Des produits chers ne sont plus en soi des marqueurs sociaux. Qu’il s’agisse d’un sac Louis Vuitton ou du dernier iPhone, de produits haut de gamme en hyper, aucun n’est en soi un marqueur de classe sociale. Chacun arbitre désormais ses choix d’investissement selon ses domaines d’intérêt. À partir de là, dans mon clin d’oeil, ce que je veux dire c’est que tout le monde (ou presque) peut se payer des produits L’Oréal s’il le souhaite. Donc tout le monde le vaut bien. Ces marques de grande consommation premium n’ont donc plus de vocation statutaire. A contrario, chacun vise à acquérir un statut personnel qui le distingue et cherche donc des marqueurs sociaux (marques) qui expriment cette différence. En parfumerie, cela passe par exemple par le succès de Nyx ou de nombreuses petites marques plus identitaires que L’Oréal ou Gemey. En bière, on note une croissance hallucinante des petites brasseries. En automobile, on voit les déclinaisons multiples des modèles et des options dans les modèles. On est loin de la R5 des années 70.

-Air of melty : En quoi cela est-il particulièrement vrai en ce qui concerne les Millennials ?

P.G : J’ai parlé d’un âge sociologique. On prend ses habitudes à 20 ans et on les garde. Un consommateur de 55 ans sera peut-être encore fidèle à Heineken. Pas les jeunes de 25 ans. On peut décliner cette idée sur tous les marchés. J’ajoute que la segmentation de la population était encore il y a 20 ans dans une logique CSP. Aujourd’hui, dans une « classe » CSP++ on peut aussi bien trouver des jeunes start-upers, des financiers en costume, des codeurs, etc, ayant dans chaque groupe des codes identitaires propres. La société n’est plus « stratifiée » de bas à haut de gamme ou de bas à haut revenu mais par style et intérêt.

-Air of melty : Vous parlez aussi de « la fin des marques globales hégémoniques ». Par quoi ces grandes marques sont-elles remplacées aujourd’hui ? Quels sont les types de marques qui ont bien compris la transition qui se joue aujourd’hui ?

P.G : Les chiffres montrent non pas la fin des marques hégémoniques mais la fin de leur croissance. Presque 100% de la croissance PGC en 2017 en France est le fait des petites marques. Dans le monde en 2016, les marques dites nationales ont représenté 76% de la croissance. Dit autrement, les grandes marques qui se sont mondialisées ne croissent plus. La croissance est le fait des marques « locales » ou à mon sens plus clairement des marques « incarnées » par des vrais gens, et qui sont porteuses de sens. La consommation devient identitaire, les marques mainstream n’apportent pas de valeur au client tandis que des marques plus segmentantes oui.

-Air of melty : Quelles sont les valeurs à intégrer pour les marques aujourd’hui, pour être au plus près des vraies attentes des jeunes consommateurs ?

P.G : Impossible de répondre précisément à cette question. À chaque groupe social ses valeurs et ses marques. C’est une forme de communautarisation de la consommation, dans un sens non-religieux. On retrouve aussi ça dans les réseaux sociaux. Une chose est cependant transversale et s’impose justement comme la condition de l’identité d’une marque : la transparence, la sincérité, le vrai. Tout peut être accepté, si la démarche d’une marque est sincère et démontrable.

Air of melty : On parle aussi beaucoup d’un besoin toujours plus fort de la part des consommateurs de vivre des expériences, au-delà de l’achat d’un produit. Personnalisation et service expérientiel vont-ils de paire ?

P.G : Ce sont deux choses distinctes mais en effet importantes. Ce qui importe aujourd’hui, c’est avant tout l’expérience de consommation, c’est à dire au moment où l’on consomme. Mon maquillage est-il réussi, le moment de partage d’une bonne bière avec les copains est-il réussi (ont-ils aimé?), mon entrecôte est-elle bonne ? Cela renvoie bien sur à la qualité intrinsèque du produit, mais aussi au discours que la marque aura porté pour apprendre à son consommateur à « réussir ». Dans cette logique, au moment de l’achat, se déclenche l’imaginaire du consommateur, l’espoir d’une réussite.