DISKO, « Les consommateurs n’attendent pas des marques ‘parfaites’ mais des marques qui s’interrogent réellement » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 23 Jan 2020 à 12:44
Les fans de gaming, musique et sport attendent plus d’engagement de la part des sponsors
Aujourd'hui, pour bien communiquer auprès de la jeune génération, faut-il être une marque engagée ? Pour l'agence indépendante DISKO, cela ne fait aucun doute ! Découvrez notre interview de la semaine sur le sujet.

À l’heure où plus de 8 jeunes sur 10 attendent des marques qu’elles s’engagent et à l’heure où 64% des 18-34 ans déclarent privilégier des produits et services bénéfiques à la société, on peut se demander si le Cause Marketing constitue aujourd’hui une tendance marketing incontournable. Justement, les équipes de l’agence de communication indépendante DISKO ont accepté de répondre à nos questions sur le sujet. De quoi confirmer que 2020 et les années à venir promettent une révolution dans le monde du marketing, avec des transformations de fond.

-Air of melty : Selon une récente étude de Denjean et Associés, 90% des français veulent que les marques s’engagent. Dans le même temps, 97% des Français seraient prêts à boycotter des entreprises ayant des pratiques sociales ou environnementales destructrices. À quel point cela est vrai pour les Millennials ?

DISKO : Aujourd’hui, si ce mouvement est un mouvement de fond dans la société (française et même à l’international), on peut se dire que c’est encore plus vrai pour les Millenials, ceux avec qui ce mouvement a réellement commencé. Encore plus vrai car, on le voit aujourd’hui, ce sont eux qui portent le plus cette révolution à la fois dans leurs actes d’achat mais aussi leur valeur d’impact (en choisissant l’entreprise dans laquelle ils vont travailler, etc.). Ainsi, parce que de leur côté, cette demande est plus radicale, avoir la sensation de partager des valeurs avec les entreprises est primordiale pour eux, et ces valeurs doivent s’inscrire dans des actions concrètes – environnementales, sociales et sociétales – en communication mais pas uniquement. D’ailleurs leurs pratiques sont elles-mêmes plus extrêmes : la recherche du zéro déchet par exemple est aujourd’hui essentiellement portée par cette population.

-Air of melty : Justement, quelles sont les priorités des jeunes consommateurs sur le plan de l’environnement et des questions sociales ?

Ces priorités sont aujourd’hui multiples et surtout finalement diversifiées en fonction de tribus qui peuvent exister. D’un point de vue environnemental, le plastique est évidemment un sujet fort, par ailleurs particulièrement exploité par les marques. Aujourd’hui la thématique du changement climatique est globalement et sous tous ses aspects, un sujet prioritaire pour les jeunes consommateurs. A partir du moment où un sujet est rendu visible (par exemple l’impact du plastique sur les tortues en Méditerranée), qu’ils ont l’impression que le sujet est proche ou quantifiable (c’est le biais de représentativité), il devient prioritaire pour les consommateurs, notamment les plus jeunes. Mêmes les questions plus lointaines (approvisionnement, matières premières) deviennent impactantes. Les engagements sociaux et sociétaux sont quant à eux plus segmentants, néanmoins pas moins porteurs. La question du women empowerment est au coeur des conversations, comme celle de l’inclusivité. Ce qui est intéressant, c’est que même si les choses changent, les marques en France sont plus timides qu’aux USA, et ne se sentent pas toujours prêtes voire légitimes à prendre la parole sur des sujets plus segmentants. Pourtant, une campagne comme celle de Nike avec Colin Kaepernick ou celle de Gillette sur la Toxic masculinity, si elles se sont attirées de vraies foudres, sont des succès en termes d’engagement et de business. Aux Etats-Unis encore, on a vu énormément de marques prendre position sur la politique, en libérant leurs employés pour qu’ils aillent voter ou en adoptant des postures résolument anti-Trump. Aujourd’hui, les consommateurs attendent de plus en plus des marques qu’elles révèlent un sujet, ou prennent position sur des débats plus “marquants”. Ces sujets sont davantage relatifs aux cultures ; en France les consommateurs sont prêts pour des discours qui vont plus loin, les marques, elles, pas toujours.

-Air of melty : On dit beaucoup que la transparence est actuellement LA valeur indispensable pour les marques. Comment cela doit-il s’illustrer en pratique ?

La transparence est devenue en effet une valeur cardinale pour les publics et les marques, mais son incarnation peut varier du tout au tout, d’une marque à l’autre. À chacun de trouver son style pour ainsi dire. Evidemment, transparence signifie traçabilité ; des matières premières et des lieux de production, du système de production à la logistique. À ce propos, le principe de blockchain est une des représentations fortes de ce sujet. Cette exigence de traçabilité est particulièrement vraie quand les questions environnementales rencontrent l’éthique, notamment dans le secteur de la mode. Aussi, la transparence peut passer par une posture d’ouverture, de dialogue et de discussion. Il s’agit là davantage d’une attitude et d’outils pour favoriser les échanges… La manière dont certaines marques utilisent Instagram et les stories est à cet égard inspirante. Encore, la transparence peut être une “transparence d’ingrédients et d’effets”. Face à la Yuka-isation du monde, on voit fleurir des dirty ingredient lists (ingrédients que les marques se refusent à utiliser de manière revendiquée) dans l’alimentation ou la cosmétique. Ce qui est sûr c’est que la transparence est un empowerment. Donner le choix au consommateur de choisir le bon produit à la fois pour lui et le monde qui l’entoure, de simplifier son choix et de soulager sa conscience élève la marque auprès de son public. Les tentatives des marques de “reprendre le lead” sur un sujet, par exemple le fashion pact, peuvent être à cet égard vécues comme de l’anti-transparence, une volonté de recréer un écran de fumée et d’enlever ce pouvoir aux consommateurs… et finalement de se soustraire au pouvoir des gens.

-Air of melty : Quid de la notion d’engagement : les marques ont-elles aujourd’hui le devoir de s’engager pour une cause ou pour une autre pour toucher efficacement les consommateurs, et notamment les plus jeunes ?

La désaffection de la politique a eu pour corollaire le fait de penser que les entreprises, à défaut de changer radicalement le monde, pouvaient a minima le transformer, un produit à la fois. Leur premier devoir grandissant -et partagé par tous les consommateurs- c’est celui de l’éthique : éthique de leur modèle et de leurs pratiques. L’engagement, notamment pour une cause, est une manière pas toujours simple mais en tout cas claire et anglée de faire un premier pas vu par tous, d’être identifié. Mais l’engagement pour une cause ne peut pas remplacer une remise en question et une interrogation de ses pratiques plus larges.

-Air of melty : Le « Cause Marketing » est-il une tendance marketing bien partie pour durer sur le long terme ?

J’irais même au delà de la simple tendance : c’est un changement de paradigme de communication. Après le règne de l’entertainment, c’est le règne de l’utilité qui préside à toute chose aujourd’hui. Mais évidemment, les consommateurs sont de plus en plus éduqués pour comprendre et décoder ces engagements des marques. Alors le “cause marketing” s’il définit un engagement opportuniste verra sans doute un certain nombre de marques s’y casser les dents et en revenir. À l’inverse, si on parle de la révolution du “purpose” et de la volonté de marques de se mettre au service de la société et d’un monde meilleur, c’est une tendance de long terme, et un changement profond pour les entreprises qui est en train de s’opérer.

– Comment échapper au « Greenwashing » en 2020 ?

Ce qui est compliqué aujourd’hui pour les marques c’est qu’il y a malgré tout une nécessité de communiquer sur les actions entreprises. Pourquoi ? Car sans communication, les actions et engagements n’existent pas pour les consommateurs; et finalement plus vous attendez, et moins votre démarche sera perçue comme long termiste et au contraire aura l’air opportuniste. Il y a donc un besoin profond de communication sur ce qui est fait et une peur profonde d’être taxé de greenwashing. Pour sortir de cet étau, l’enjeu c’est évidemment de lier communication et actes, discours et preuves concrètes. Et surtout d’avancer avec humilité et honnêteté. Les consommateurs n’attendent pas des marques “parfaites” mais a minima des marques qui agissent en cohérence et qui s’interrogent réellement sur leurs pratiques et leur impact sur l’environnement et dans la société. Aussi, se demander comment “j’engage” les consommateurs dans ma démarche, sans se contenter de déclamer et de montrer, mais en les faisant participer est une manière intéressante de prendre le sujet – à l’image de notre campagne Fair Friday pour Nature & Découvertes qui mettait chaque personne dans la position de pouvoir soutenir une cause qui lui tenait à coeur.

-Air of melty : Pouvez-vous nous donner des exemples de marques qui ont compris comment allier engagement et marketing ?

En touchant à ce sujet, on ne peut clairement pas ne pas citer Patagonia qui a mis depuis bien longtemps la préservation des ressources au coeur de son engagement et de son marketing. Sa dernière initiative en date “Patagonia Action Works” qui met en relation des gens qui veulent s’engager avec des ONG et actions locales est encore exemplaire sur sa manière de renforcer le lien avec un consommateur, citoyen avant tout. Nous aimons aussi citer Everlane, pour qui l’engagement est au coeur de la plupart de ses démarches : citons notamment le zéro plastique non issu du recyclage et donc l’upcycling avec ses collections ReNew, son partenariat avec le New York Times autour du changement climatique et de la vérité, ou encore son engagement annuel avec le Black Friday Fund autour des communautés (soutien d’un projet d’une usine partenaire). Une autre marque qui fait de l’engagement une des clés de son marketing depuis longtemps est Stella McCartney : avec de l’air pur dans les magasins qui interroge la santé environnementale, ou une action de communication avec Extinction Rébellion qui montre la possibilité des marques d’aller plus loin dans leurs partenariats.

-Air of melty : Comment voyez-vous cette tendance évoluer au cours des mois et des années à venir ?

D’abord, du côté de la communication pure, la question de l’empreinte même de ce qui est produit devient un point d’intérêt. Lors de la grève pour le climat du 20 septembre dernier, plus de 30 leaders d’agences anglaises ont par exemple autorisé leurs employés à faire grève eux aussi et ont lancé un brief ouvert “create and strike” pour encourager le mouvement. Ce type de démarche s’inscrit forcément en parallèle de l’interrogation que l’on peut avoir autour de l’impact environnemental concret des campagnes de communication (sociétal, le sujet est ouvert depuis longtemps). Généralement, le besoin de labellisation et de certification semble de plus en plus nécessaire. L’essor – salvateur- de la communauté B Corp -pour Benefit Corporation, dont les entreprises visent à être les meilleures pour le monde, et non pas au monde-, dont, par exemple notre client Expanscience fait partie, est une preuve indéniable que l’on s’interroge et que l’on essaye de s’améliorer. Il s’agit d’ailleurs d’une démarche collective : il semble aujourd’hui évident que les entreprises ne peuvent plus seulement faire les choses dans leur coin mais se doivent de faire les choses ensemble. C’est également une évolution profonde des mentalités sur ce sujet : ne pas vouloir toujours prendre l’avantage compétitif mais aspirer à être un modèle réplicable pour d’autres. Enfin, l’enjeu se situe aujourd’hui au coeur de l’entreprise, à savoir des business models mêmes. Les enjeux d’économies circulaires, de recyclage et d’upcycling (Ikea qui teste le second hand en Angleterre, Urban Outfitters qui propose un système d’abonnement ou Lego un modèle de location) deviennent criants dans quasiment toutes les industries. Ce n’est plus une révolution de la communication qui est en cours, mais bien une révolution de l’entreprise.