Emploi : Christophe de Bueil, « La jeune génération a besoin de mettre du sens dans ce qu’elle fait » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 28 Sep 2017 à 10:14
Emploi : 3 jeunes sur 4 s’ennuient au travail, génération « bore out » ?
Les moins de 35 ans sur le marché du travail, ça donne quoi ? Christophe de Bueil, fondateur-manager chez Robert Half Digital et chasseur de têtes, nous en dit plus sur le sujet, en nous présentant les attentes prioritaires des Millennials en matière d'emploi, sans oublier de nous parler de leurs qualités...et de leurs défauts !

Au travail les jeunes ! Régulièrement, la rédaction d’Air of melty vous explique que comprendre la jeune génération, cela passe aussi par comprendre son rapport au marché du travail, qui constitue un élément capital de sa vie quotidienne et une partie importante des espoirs concernant son avenir. À ce sujet, après vous avoir montré que les Millennials sont particulièrement touchés par le burn-out et après vous avoir présenté les priorités de la Génération y et de la génération Z en matière de recrutement, c’est désormais au tour de Christophe de Bueil, fondateur et manager chez Robert Half Digital, de nous apporter son regard sur le rapport des Millennials au monde du travail.

-Air of melty : Est-ce que vous pouvez vous présenter un peu ?

Christophe de Bueil, fondateur et manager chez Robert Half Digital : Je dirige une activité dans un cabinet de recrutement américain, où je suis chasseur de tête. Cette activité, c’est une practice dédiée à la transformation digitale des organisations. Je me retrouve donc aussi à donner beaucoup de conseils à mes clients, dans l’optique de leur trouver des compétences et des talents. J’accompagne à la fois des acteurs historiques (L’Oréal, Monoprix, Leroy Merlin, Le Club Med, etc…) qui existaient avant Internet et qui doivent aujourd’hui vivre avec le net et en tirer une réelle force, et des pureplayers (Photobox, Blablacar, Sarenza, etc…) qui tirent l’intégralité de leurs ressources d’Internet. A travers ma position neutre et très transverse, j’ai la possibilité de suivre les tendances de fonds et de les commenter.

-Air of melty : Qu’est-ce qui distingue aujourd’hui les Millennials de leurs aînés en matière d’attentes quant à leur carrière professionnelle ? Quelles sont leurs priorités ?

C.d.B : Ils ont un rapport au monde du travail qui est totalement différent de leurs aînés. Les jeunes ont des qualités que ceux passés avant eux n’avaient pas forcément, comme la flexibilité, la capacité à passer d’un sujet à un autre. Ils sont moins cloisonnés dans leur approche. Mais ils ont aussi des défauts que leurs aînés n’avaient pas : il y a une réelle impatience de la part de cette génération, il faut que les choses aillent vite et qu’elles aient du sens tout de suite. En cela, ils sont donc très exigeants envers ce que peut leur apporter un environnement de travail, sans forcément se poser la question de la réciprocité. C’est cet environnement du poste qui constitue leur principale priorité aujourd’hui alors que, auparavant, le salaire, les perspectives de carrière, ou encore la stabilité rentraient beaucoup plus en compte. Les jeunes cherchent moins la perennité, ils assument et adorent les environnements qui évoluent. Et cela comprend également la localisation : par exemple, La Défense attire bien moins qu’avant alors que c’était pendant longtemps une destination privilégiée pour les jeunes diplômés.

-Air of melty : Peut-on aujourd’hui dire que l’on a affaire à une jeune génération ambitieuse ou, à l’inverse, a-t-on affaire à une jeune génération qui ne veut plus que le travail soit le centre de sa vie et qui se contente de moins pour profiter plus en dehors du travail ?

C.d.B : Objectivement, je dirais que l’on a un peu affaire aux deux cas. Je pense qu’il y a effectivement globalement un manque d’ambition intellectuel, notamment sur la manière dont les jeunes ont envie d’aborder leur carrière. Après, selon moi, s’il est clair que le fait de pouvoir réorganiser son temps par rapport à son travail et faire en sorte que le travail ne soit plus le centre de sa vie est une priorité pour cette cible, ce n’est pas forcément un manque d’ambition, c’est plus une envie de faire bouger les choses. Cela ne veut absolument pas dire qu’il y a une sorte de flemmardise généralisée. Au contraire, les jeunes s’engagent plus qu’avant, mais différement. Pour autant, je trouve qu’il y a une qualité qui est en train de se perdre chez cette jeune génération, c’est la capacité à travailler sur la durée et avec intensité. On serait sûrement comme eux si on avait dix ans de moins, car c’est le rapport aux écrans et à Internet qui a transformé cela, mais il est important de sensibiliser les jeunes au compromis permanent, entre le cadre de travail classique et leurs nouvelles attentes.

-Air of melty : Existe-t-il des secteurs ou des zones qui rebutent aujourd’hui les Millennials, pour ce qu’elles représentent davantage que pour la réalité du travail ?

C.d.B : Globalement, on est dans une révolution des usages. Les gens dépensent avec une volatilité qui est impressionnante. Ce dynamisme, c’est exactement ce que recherche la jeune génération. Et la localisation physique fait partie de cette émulation. On a des zones où énormément de start-ups se réunissent, dans des quartiers généralement très centraux, qui attirent de nombreux jeunes tandis que les sociétés traditionnelles, isolées en banlieue ou situées à La Défense, représentent désormais l’opposé de ce qu’ils recherchent, avec peu de flexibilité, des longs process en permanence et des circuits de validation qui sont très compliqués. Aussi, la hiérarchie a quelque chose de rebutant pour les moins de 30 ans : dans les start-ups, ils apprécient le fait de pouvoir avoir accès au top management en toquant à une porte et parfois même en les tutoyant alors que, évidemment, dans les grandes structures, ils ont affaire à des échelons hiérarchiques qui sont infinis avant de pouvoir avoir une rencontre stimulante avec un très grand dirigeant. Quelqu’un qui rentre chez Total à 25 ans n’a pas forcément l’énergie de se dire qu’il pourra avoir un bon poste dans 20 ans, s’il fait bien son travail et avec ambition. D’autant plus, qu’en 20 ans de carrière, il pourra changer 8 fois de poste, des postes qui évoluent en permanence en plus. Mettre une table de ping-pong ou un babyfoot dans l’espace de travail ne suffira pas à attirer les jeunes, il faut s’adapter bien plus que cela, en profondeur, pour ces grosses boîtes. Il faut nourrir intellectuellement les jeunes employés, en leur proposant des parcours bien personnalisés.

-Air of melty : On dit beaucoup que les jeunes choisissent leur entreprise pour son engagement social, son éthique. Quel impact a cette tendance sur les sociétés ?

C.d.B : Il y a effectivement une tendance en ce sens, on le remarque lors de nos entretiens. Les Millennials ont envie d’aller là où ils se sentiraient utiles. Très clairement, les jeunes expriment un ras-le-bol général, et cela se ressent sur le marché du travail. Il y a une véritable envie grandissante de travailler pour des entreprises qui vont faire en sorte d’améliorer les choses. Cette génération a besoin de mettre du sens dans ce qu’elle fait. Cela les pousse forcément à se tourner davantage vers des entreprises qui coupent les circuits de distribution pour permettre des rapports plus directs entre les gens ou vers des sociétés qui se diversifient en allant vers des choses plus fructueuses.

-Air of melty : Quelles sont les trois erreurs principales des grands groupes qui cherchent à recruter les jeunes talents ?

C.d.B : La première et principale erreur qu’ils peuvent faire, c’est de considérer que leur nom suffit à pouvoir attirer et que les gens vont naturellement postuler. C’est un côté un peu flemmard de séduire ces futurs candidats, alors qu’il convient aujourd’hui de faire preuve d’humilité pour attirer ces talents. Le deuxième point majeur, c’est le fait de ne pas mener à bien sa transformation digitale, avec trop peu d’ambition. Beaucoup encore se donnent bonne conscience, n’y croient pas réellement et pensent que cela va finir par s’éteindre. Ils continuent alors à s’appuyer sur leurs acquis et envoient dès lors un signal très peu rassurant à ces talents, beaucoup plus tournés vers le digital et l’innovation. Enfin, la troisième erreur serait de ne pas changer les choses pour s’appuyer uniquement sur ses forces. Certaines entreprises n’arrivent pas à réellement à contourner leur histoire et à insuffler un souffle nouveau à leur paquebot, qui met forcément plus de temps qu’un voilier à changer de trajectoire. De manière générale, il faut plus d’ambition en matière de changement, et ne pas se contenter de rajouter des poufs de toutes les couleurs et des baby-foots dans les salles de repos pour rendre une entreprise plus attractive pour la jeune génération.

-Air of melty : La génération Z, qui suit les Millennials, promet-elle une autre révolution digitale dans les entreprises, ou sera-t-elle dans la continuité de la génération Y ?

C.d.B : A ce niveau-là, on se fiche de la transformation digitale. Ce que les entreprises doivent comprendre aujourd’hui, c’est qu’elles doivent se rendre plus agiles pour pouvoir se retransformer à l’infini. L’enjeu n’est pas de se transformer digitalement aujourd’hui, c’est réellement de faire en sorte que, quand il le faut (et cela peut être dans un an comme dans cinq ans), la boîte puisse avoir l’agilité de refaire une transformation. C’est cette agilité qui est nécessaire pour anticiper les avancées technologiques qui vont permettre de disrupter considérablement le business model des organisations. C’est valable pour la génération des Millennials comme pour la génération des Z, donc ! Qui peut prévoir ce que ces jeunes, qui adoptent le digital de plus en plus tôt, nous réservent et quels usages ils vont adopter ?