La Cancel Culture : progrès ou censure ? (TRIBUNE)

Par Céline Pastezeur - Publié le 21 Déc 2020 à 12:28
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La Cancel Culture, c’est un terme à connaître en cette fin d’année 2020, particulièrement si vous communiquez via les réseaux sociaux. Mais qu’est-ce que c’est au juste ? Une nouvelle tribune signée Valentine Billaudeau, chargée de communication chez DISKO, s’intéresse au sujet.

En cette fin d’année 2020, les réseaux sociaux s’imposent comme étant un incontournable pour la jeune génération, qu’il s’agisse de TikTok, l’appli phénomène du moment, Instagram ou encore Twitter. Et cela promet de continuer en 2021, avec des réseaux sociaux qui promettent encore d’évoluer au cours des mois à venir. Mais, avant de s’intéresser à ce qui se passera demain sur les médias sociaux, Valentine Billaudeau, chargée de communication chez DISKO, s’intéresse à une tendance forte du moment sur ce terrain : l’essor de la Cancel Culture. Kézako ? Réponse dans cette tribune inédite.

La Cancel Culture, portée par les réseaux sociaux, monte en puissance. L’appel au boycott de fortes personnalités ou de certaines marques, est devenue une véritable arme de communication. Focus sur ce nouveau phénomène de société.

Qu’est-ce que la Cancel Culture ?

La Cancel Culture consiste à supprimer ou à boycotter une personne, une organisation ou bien encore un groupe d’individus à travers les réseaux sociaux. Elle dénonce des comportements ou des propos condamnés par une majorité de personnes. Ce phénomène représente une contestation politique, une manière de s’exprimer quand on ne peut avoir la parole dans le débat public. Il prend la forme d’un procès médiatique qui n’interagit pas avec la justice à proprement parler, même si l’objectif est finalement d’arriver à des retombées juridiques. Il se veut aussi désireux de rendre les personnages publics ou les organisations plus éthiques, plus responsables de leurs actions.

Originaire des Etats-Unis, elle est véritablement entrée dans l’arène française en 2017 avec l’apparition du #Metoo qui consistait à dénoncer les coupables d’agression sexuelles et les afficher à la vue de tous. Pour la première fois le débat a été ouvert sur cette thématique presque “taboue” et a engendré bien d’autres manifestations sur la toile. Twitter s’est érigé comme LA grande plateforme de dénonciation. Elle fonctionne grâce à la réactivité des utilisateurs, rien ne leur échappe. Ainsi une célébrité peut se retrouver boycottée en moins d’une journée. Exemple : le rappeur Moha la Squale, qui a été accusé d’agressions sexuelles, violences conjugales et séquestrations avec le #Balancetonrappeur et qui est depuis banni par une grande partie de son ancien public. De ce fait, une personne dite “canceled” ne doit plus être écoutée, invitée, et attirer l’attention sur elle.

Nouveau pouvoir

Sans surprise, la Cancel Culture s’invite aussi dans la sphère marketing. Des marques sont également visées et jugées pour leurs méthodes, propos et autres errements. A l’image du géant de l’agroalimentaire Mars, accusé de diffuser des stéréotypes raciaux, qui a annoncé que le nom et le visuel de sa célèbre marque Uncle Ben’s seront remplacés en 2021. Ou du groupe L’Oréal qui cesse d’utiliser les mots « blanc » et « blanchissant » ou « clair » pour promouvoir ses produits. La Cancel Culture se place de plus en plus comme un contre-pouvoir, incitant les marques à s’engager ou à se désengager de certaines causes. Un nouveau pouvoir, désormais à la disposition du plus grand nombre, qui prône plus d’éthique, d’inclusion, de diversité et offre une formidable diversification de la parole. L’objectif premier : responsabiliser les personnalités et les marques sur leurs méthodes et leurs propos, un activisme constructif et légitime donc.

Un phénomène à double tranchant

Nous avons d’un côté les militants qui dénoncent et veulent se faire entendre et de l’autre ceux qui sont accusés. La Cancel Culture permet de délier la parole et faire évoluer des causes sociales importantes. Donner de la voix au plus grand nombre peut ajouter de la cohérence aux combats soutenus. Mais d’un autre côté, cela pose la question de la liberté d’expression et remet en cause ses limites. Les opinions s’affrontent comme sur un ring de boxe et entraînent parfois une forme d’intolérance dans les deux camps. La Youtubeuse américaine de 31 ans, Natalie Wynn, expose sur sa chaîne “ContraPoints” de manière très intéressante une théorie sur ce revers de la médaille, après en avoir elle-même subi les conséquences.

En premier lieu, lors d’une accusation, il y a de fait une présomption d’innocence qu’on ne peut ignorer et qui demeure un droit fondamental. Si certaines plaintes faites auprès de la justice sont réfutées, sur les réseaux sociaux la parole de la victime a beaucoup plus de portée et de crédibilité. Les accusations sont donc à prendre avec précaution car elles ne sont pas forcément véridiques. Ensuite, Natalie Wynn aborde le terme “d’abstraction” dans la Cancel Culture. Les réseaux sociaux ne sont pas des plateformes créées pour le débat. Seulement, ils se sont établis au fur et à mesure du temps comme un espace de controverse, et du fait que ce ne soit pas leur mission première, cela donne lieu à de nombreux raccourcis. Par exemple, Twitter dispose d’un nombre de caractères très limité pour chaque publication. De ce fait on ne peut développer son raisonnement lors de dénonciations, et les interprétations deviennent totalement subjectives.

Cela engendre aussi ce qu’on appelle l’essentialisme. Si l’on s’accorde à sa définition philosophique, l’essentialisme prône l’essence sur l’existence, peu importe nos actions passées ou futures, rien ne peut changer la nature d’un individu. Dans le cas de la Cancel Culture, cette notion implique que la personne accusée ne peut ni apprendre de ses erreurs, ni se “racheter”. Finalement ce terme induit le fait qu’une personne ou une organisation dite canceled le sera pour toujours. Les excuses n’ont aucune crédibilité face aux militants, le pardon devient presque renié par manque de légitimité. Cette police des moeurs improvisée entraîne aussi souvent ce qu’on appelle le “cyberharcèlement”. Celui-ci se matérialise par l’incitation à la haine et peut parfois amener à des conséquences désastreuses pour la personne prise pour cible. Il est condamnable par la justice, et peut aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Des dérives qui ont même conduit un collectif de 150 personnalités du monde artistique, de la culture et des médias a rédigé une tribune dénonçant “l’intolérance à l’égard des opinions divergentes”. Vecteur de changement et de progrès, le phénomène de Cancel Culture peut malheureusement déraper et finit par inquiéter. Si l’on devait résumer vulgairement la Cancel Culture, ce serait par la distorsion entre le camp des gentils et celui des méchants. Cette dissemblance peut alors associer des propos ou des actes “maladroits” à toute une catégorie qui n’est pas représentative ou propre aux croyances de la personne accusée. Comme toujours, tout ne peut pas être mis à la même échelle et tout repose sur un véritable problème de fond, de nuance. Va-t-on finir par cancel la Cancel Culture ? Le débat est, on l’espère, ouvert !