Marketing : Patrice Laubignat, « L’idée d’un marketing émotionnel one-shot n’a pas de sens » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 17 Sep 2015 à 06:58
L’émotion, vecteur principal de l’efficacité publicitaire ?
En 2015, la notion de marketing émotionnel est sur toutes les lèvres. La rédaction d'Air of melty vous en parle d'ailleurs régulièrement en vous présentant des campagnes qui misent sur les bons ingrédients. Aujourd'hui, Patrice Laubignat, spécialiste du sujet, a accepté de répondre à nos questions pour en savoir toujours plus.

En matière de marketing réussi auprès des jeunes, l’émotion n’est jamais loin. La rédaction d’Air of melty vous le répète depuis des mois, pour s’attacher à une marque, les moins de 30 ans réclament une réelle connexion avec elle, plutôt que des bons plans. Une réelle connexion qui passe par le fait de rire, pleurer ou s’émouvoir aux côtés d’une enseigne. C’est ce que l’on nomme le marketing émotionnel. A ce jeu-là, les jeunes hommes seraient, surprise, plus émotifs que les femmes, comme vient de le montrer une étude. Pour décrypter toujours plus cette tendance du marketing émotionnel, Patrice Laubignat, spécialiste du sujet, auteur de « Tout Savoir sur le Marketing Emotionnel » et Fondateur de LePartenariat, a accepté de répondre à nos questions.

-Air of melty : Avant tout, pouvez-vous vous présenter et expliquer votre travail ?

Patrice Laubignat, auteur de « Tout Savoir sur le Marketing Emotionnel » : Je travaille dans le mode du marketing depuis 25 ans, principalement en agence et pour des grands comptes (produits grand public). je me suis spécialisé dans les partenariats de marque avant de finalement revenir vers une passion : la pédagogie. Je suis donc intervenant en marketing pour plusieurs écoles. De là, est venue l’idée d’un blog pour expliquer ma « vision romantique du marketing », ainsi que le livre consacré au marketing émotionnel. Il s’agissait d’une vraie envie de partager des convictions et des rencontres. Une envie de donner de soi.

-Comment décrire le marketing émotionnel aujourd’hui ? Comment expliquer que cela devienne une tendance forte auprès des jeunes particulièrement ?

P.L : je pense que la principale explication à cela correspond à la volonté de savoir pourquoi, chez les clients, les consommateurs, et les jeunes en particulier. Pourquoi je consomme, pourquoi cette marque, pourquoi devrais-je lui être fidèle ou pas. Mais c’est aussi la prise du pouvoir ou, plus exactement, du lead dans la relation qui change tout et qui inverse les rôles. En m’intéressant davantage au client et un peu moins au produit (à la technique), je me suis rendu compte que ses décisions n’étaient pas rationelles (j’ai passé plus de 15 ans à promouvoir des produits en tentant de les rendre irresistibles au-delà d’une analyse rationnelle). Notre cerveau humain est avant tout social, et, ça aussi, c’est une découverte récente. Les jeunes ressentent encore mieux cela, ils aiment vivre des expériences fortes, et partager leurs émotions.

-Une étude menée par Atomik Research auprès des internautes Britanniques pour savoir quels sont les éléments qui les rendent plus intéressés par une marque a montré que les moins de 35 ans se démarquent particulièrement par leurs attentes émotionnelles auprès des marques plutôt que la recherche de bons plans. Comment peut-on l’expliquer ?

P.L : La force de l’habitude ! Les moins jeunes ont été gavés de promotions en tout genre depuis les années 70/80 et le développement de la grande distribution et de l’hyper concurrence. Ils continuent de penser qu’une promo, un rabais, vaut mieux qu’une belle histoire. A tort. A l’opposé, lorsque l’on est jeune, on a besoin de se construire une identité, de s’approprier des valeurs et de croire des engagements. C’est ce que je recommande aux marques dans le marketing émotionnel : engagez-vous et partagez votre passion.

-Quelles émotions constituent les forces du marketing émotionnel ? Plutôt des émotions positives ou plutôt la colère, la révolte ?

P.L : C’est une belle question. Evidemment la peur, la colère, nous font réagir instinctivement. Avant même d’y réfléchir, nous décidons sous le coup de l’émotion. Ainsi, la technique de la peur du manque fonctionne toujours via les séries limitées, les ventes privées d’un soir, les « last minute » et autres « il n’y en aura pas pour tout le monde ». Mais que se passe-t-il ensuite ? Une déception, un sentiment de s’être fait avoir qui engendre une défiance, un ras le bol que l’on perçoit en ce moment. Au contraire, jouer sur des émotions positives déclenche un sentiment affectif durable. On aime une marque, voire on la préfère et c’est un engagement.

-Comment faire un marketing émotionnel intelligent ? L’émotion pour l’émotion, ça ne peut pas marcher…

P.L : A nouveau l’émotion n’est qu’une composante du mix émotionnel. Il faut aussi de l’exclusivité pour séduire aujourd’hui. Il faut surtout de l’expérience (sensation et réalité) et de l’engagement pour que la relation puisse devenir affective et s’inscrire dans le temps. L’idée d’un marketing émotionnel one-shot n’a pas de sens. On doit absolument l’adopter pour développer la relation client, de l’avant achat à l’après utilisation et au partage de feed-back.

-Miser sur du marketing émotionnel signifie laisser une part de contrôle importante aux consommateurs. Comment rassurer les marques au sujet de cette « perte de contrôle » et de la peur d’un potentiel bad buzz ?

P.L : On touche là un vrai problème chez les marketers, au moins en France, avec l’obsession du contrôle. D’où, par ailleurs, cette folie de tout mesurer, tout le temps. Or on ne peut pas contrôler les conversations entre consommateurs. Point barre. Cela n’a d’ailleurs aucun intérêt ni aucune importance réelle. Si une marque fait ce qu’elle dit faire, si chacune de ses actions ou prises de paroles est alignée sur les valeurs qu’elle défend, sur lequelles elle s’est engagée, il ne peut y avoir de bad buzz. Une marque peut (et je dirais même doit) avoir des détracteurs, mais ce sont ces ambassadeurs qui font la différence. On peut sans aucun doute les fédérer, les animer, les récompenser et c’est un enjeu du marketing. Pour quelle raison faudrait-il les contrôler ?

-Marketing émotionnel et réseaux sociaux : duo indispensable, pas de lien direct ou, à l’inverse, combinaison dangereuse ?

P.L : En réalité, les réseaux sociaux sont une vison digitale de la conversation. Or de quoi parlons-nous si ce n’est de nos émotions ? Raconter sa vie, partager ses bons moments, exhiber des selfies ou des vidéos, c’est évidemment d’abord émotionnel. Je dirai donc duo indispensable. Les réseaux sociaux sont aussi un moyen d’exprimer nos valeurs, ce en quoi nous croyons et de se retrouver dans nos tribus. Les marques ont (ou en tout cas devraient avoir) les mêmes objectifs que les humains.

-A quel point la vidéo est-elle importante en matière de marketing aujourd’hui ? Est-ce le support le plus propice pour faire passer des émotions ?

P.L : Evidemment ! Pour l’instant, on n’a pas mieux que la vidéo, puisqu’elle permet à la fois d’être aussi proche que possible du réel et l’instantané, l’immédiateté. Il suffit de constater les succès planétaires de la GoPro ou de Skype et maintenant de Vine, ou Periscope. On ne peut pas se passer des vidéos pour montrer nos émotions en live (in real life). Facebook et Twitter les ont très vite intégrées. Mais c’est vrai aussi en BtoB avec le succès des webinar par exemple.

-Quid de la co-création, est-ce que cela représente une part importante d’une stratégie de marketing émotionnel bien menée ?

P.L : La co-création est certainement l’étape ultime de la relation avec ses clients. C’est aussi la plus délicate. Là on ne perd pas seulement le contrôle de la conversation, on laisse échapper aussi celui de la création. Mais c’est une piste que les marques doivent aborder en confiance. Seuls leurs clients passionnés (au sens amoureusement passionnés) sont capables de participer à la co-création. Ils sont les moins nombeux (moins de 1%). Ils sont ceux qui ont envie, à leur tour, de remercier la marque pour ce qu’elle leur apporte. Il faudrait leur avoir donné beaucoup pour que cela fonctionne. Commencer par donner, il sera toujours temps de recevoir…

-Quelles sont les « clés » de l’engagement en matière de marketing aujourd’hui ?

P.L : La passion et la générosité. Si vous êtes passionné, avez-vous envie de partager cette passion ? Etes-vous capable d’offrir le maximum du possible à chacun de vos clients ? Naturellement il faudrait que votre passion intéresse et crée de la valeur pour les autres (vos clients). Sinon ils n’achèteront pas ce que vous proposez et vous n’aurez pas de modèle économique viable. Mais sans passion, pas d’amour (comme le dit joliment Kevin Roberts dans Lovemarks).

-Quelle pourrait être la nouvelle tendance en vue en matière de marketing émotionnel ?

P.L : Je ne crois pas qu’il y existe encore de réelle tendance… Beaucoup ont confondu l’idée de publier des photos de chat, ou de créer une page facebook de marque, avec une réelle stratégie de marketing émotionnel. J’aimerais que la mission du marketing change et qu’elle ne soit plus d’essayer (vainement) de vendre des produits dont nous ne voulons pas, et dont nous n’avons pas envie (ni besoin). Je crois à un marketing humain qui nous aide à mieux être et à mieux vivre.