Qare, « Les jeunes se sentent livrés à eux-mêmes et ressentent une véritable fatigue pandémique » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 27 Mai 2021 à 11:16
Les moins de 20 ans, des « adol-écrans » en puissance
Pour l'interview de la semaine, le docteur Fanny Jacq, psychiatre et directrice santé mentale chez Qare, le leader de la téléconsultation médicale en France, a accepté de répondre à nos questions pour mieux comprendre l'état d'esprit actuel de la jeune génération. Est-elle déprimée, désabusée ou, au contraire, déterminée à voir le positif ? Réponses par ici.

Depuis des mois, on parle du fait que les jeunes Français sont nombreux à subir une perte de motivation et un fort sentiment d’isolement à cause de la crise sanitaire. Semaine après semaine, au coeur de la pandémie, le malaise étudiant a grandi, avec notamment des jeunes exprimant de plus en plus facilement leur mal-être sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, le docteur Fanny Jacq, psychiatre et directrice santé mentale chez Qare, le leader de la téléconsultation médicale en France, répond à nos questions sur le sujet.

-Air of melty : En cette année 2021, que peut-on dire de la santé mentale des étudiants ? A-t-on des chiffres sur la manière dont les jeunes Français vivent moralement la période de crise sanitaire ?

Dr. Fanny Jacq, psychiatre et directrice santé mentale Qare : Paradoxalement, et même si les étudiants sont les moins touchés par le virus de la Covid-19, ce sont ceux qui semblent les plus affectés par la crise sanitaire et économique. Un sentiment d’injustice est progressivement né, de même qu’une forme d’abnégation pas toujours facile à accepter, ce qui influe directement sur leur santé mentale. Encore aujourd’hui, les derniers résultats de l’étude nationale CoviPrev montre que la santé mentale des Français reste durablement dégradée, particulièrement chez les jeunes entre 18 et 24 ans. Un rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale révèle que 50% des jeunes sont inquiets pour leur santé mentale, 1 sur 6 a arrêté ses études pendant la crise et 30% ont renoncé aux soins faute de moyens. Une sorte de lassitude des périodes successives de confinement et couvre-feu s’est installé et a plongé les étudiants dans une morosité persistante : celle de passer à côté des « meilleures années de sa vie » et de ne pas construire sereinement son avenir professionnel. D’ailleurs, nos données chez Qare confirment bien cet effondrement de la santé mentale des jeunes : depuis mars 2020, les téléconsultations de santé mentale réalisées via notre solution ont été multipliées par 4, principalement chez les jeunes femmes (66%) et cela ne fait que s’accentuer depuis janvier 2021. Si les téléconsultations s’étaient stabilisées à la rentrée de septembre, elles sont reparties à la hausse avec l’annonce du couvre-feu à 18H puis du confinement en février et mars 2021. La psychiatrie représente la deuxième spécialité la plus consultée de la solution après la médecine générale.

-Air of melty : Cours à distance, manque de lien social, isolement, précarité financière, examens, quels sont les éléments qui nourrissent le plus les angoisses des jeunes Français ?

F.J : La situation actuelle ressemble à un « tunnel sans lumière au bout ». Les étudiants éprouvent des émotions négatives qui pèsent sur leur moral : découragement, démotivation, solitude mais aussi colère et un sentiment d’injustice. Ils se sentent livrés à eux-mêmes, parfois incompris, et ressentent à juste titre une véritable « fatigue pandémique ». D’ailleurs, les nombreux mouvements de dénonciation de cette précarité en attestent. Le mouvement #etudiantsfantomes a généré des milliers de témoignages, des jeunes se sont mobilisés pour porter une parole commune : l’envie de retrouver les bancs des classes et des facultés prochainement. Derrière cette volonté, celle de renouer des liens sociaux : car le jeûne social touche les mêmes zones du cerveau que le jeûne de nourriture !

-Air of melty : Comment ces angoisses s’expriment-elles actuellement ? Troubles du sommeil, anxiété, dépression ?

F.J : Les angoisses des jeunes s’expriment de manière différente et de façon plus ou moins forte selon les profils : nous remarquons que les étudiants qui vivent seuls ou ceux en situation de précarité financière sont particulièrement exposés. Cela se traduit par de l’anxiété, des problèmes de sommeil, des états dépressifs, qui peuvent, s’ils ne sont pas pris en charge, aller jusqu’à des idées suicidaires. Le suicide était déjà la deuxième cause de mortalité chez les jeunes mais la situation pandémique a malheureusement accéléré le phénomène. Pendant le premier confinement, plus de 10% des étudiants avaient déclaré avoir des idées suicidaires, c’est alarmant ! D’autant que l’isolement et la précarité peuvent s’accompagner de phénomènes d’addictions, notamment vis-à-vis de l’alcool. Il faut traiter les problèmes de ces jeunes, leur proposer des solutions accessibles rapidement afin de les soulager et faire de la prévention. La prévention est d’ailleurs presque aussi importante que l’accès aux soins et le suivi médical. C’est la conviction que nous portons chez Qare !

-Air of melty : Les jeunes Français parviennent-ils à parler facilement de ce qui pèse sur leur moral ? Une récente étude a montré qu’ils se rendent globalement peu chez le médecin…

F.J : La question de l’accès aux soins des étudiants est depuis plusieurs années au cœur des préoccupations : si la majeure partie des étudiants se déclare en bonne santé, les dernières études sur le sujet – avant la crise épidémique – montrent qu’ils étaient près de 40% à renoncer aux soins, par manque de temps, de moyens financiers ou parce qu’ils ont recours à l’automédication. Et la situation ne fait qu’empirer en période épidémique ! C’est le cas aussi pour les soins de santé mentale : le sujet reste encore très tabou chez les jeunes. Sur les étudiants ayant consulté depuis mars 2020 un psychologue ou psychiatre, près d’un tiers n’a pas osé en parler autour de lui. La peur du regard des autres à cet âge-là est très forte : ne suis-je pas normal ? suis-je malade ? mes camarades vont-ils penser que je suis faible ? Il y a un immense effort de déstigmatisation de la santé mentale à mener en France, contrairement à d’autres cultures, anglo-saxonnes notamment, où le sujet est plus facilement abordé. Aller consulter ne doit plus être tabou et les étudiants doivent oser prendre la parole sur ce sujet. La téléconsultation peut d’ailleurs permettre un premier pas vers les soins car les délais d’attente sont beaucoup plus courts qu’en cabinet et l’étudiant peut trouver une réponse immédiate au moment où il en a vraiment besoin. La téléconsultation restant bien entendu complémentaire aux séances en présentiel.

-Air of melty : Pouvez-vous nous expliquer quels sont les nouveaux contenus exclusifs mis à disposition des jeunes sur l’application Mon Sherpa pour les aider à mieux supporter la crise actuelle ?

F.J : Mon Sherpa est un chatbot qui permet de soutenir au quotidien les personnes présentant des symptômes d’anxiété, de stress, de dépression, ou des problèmes de sommeil. En suivi de consultation de santé mentale, ou en guise de soutien de premier niveau avant de consulter, l’application propose des activités sur-mesure pour aider le patient. Nous avons créé cette application il y a plus d’un an et depuis la crise épidémique de Covid-19 nous avons décidé de la rendre totalement gratuite. Depuis fin janvier, les étudiants ont la possibilité d’accéder à un parcours dédié avec 8 activités disponibles et créées spécialement pour eux avec des professionnels de la santé mentale et des chercheurs. Par exemple, nous avons prévu des activité pour travailler sa concentration (notamment dans le cadre des cours en distanciel), pour comprendre son mal-être ou encore pour (sur)vivre à la cohabitation avec ses parents. Récemment, nous avons également noué un partenariat avec l’application de médiation Petit BamBou : de nouveaux contenus de médiation, développés avec Petit BamBou sont disponibles gratuitement sur l’application Mon Sherpa.

-Air of melty : De manière générale, comment peut-on accompagner et soutenir les jeunes étudiants actuellement ?

F.J : Il existe beaucoup de très belles initiatives mises en place en ce moment par des acteurs publics et privés. Malheureusement, ces initiatives restent encore mal connues des jeunes. L’un des exemples frappants c’est ce numéro mis en place par le gouvernement pour répondre aux questions liées au Covid : seulement 17% des étudiants ont déclaré connaitre ce dispositif de soutien. C’est trop peu ! Même le dispositif de « chèque psy » alias Santé Psy Etudiant peine à trouver son public : le dispositif est complexe, le passage obligatoire chez un médecin généraliste freine le passage à l’acte… Or l’enjeu est au contraire de simplifier les process pour permettre aux étudiants d’accéder à des soins de façon presque immédiate, sans les décourager en termes financiers ou de délais d’attente.

-Air of melty : On dit beaucoup que la jeune génération est de nature optimiste et déterminée à se créer un bel avenir. Que pensez-vous de cela ? La santé mentale des jeunes Français devrait-elle sensiblement s’améliorer au cours des prochains mois ?

F.J : Les étudiants qui ont traversé toute cette crise épidémique seront durablement marqués par la Covid-19, mais la levée du confinement, la réouverture des lieux publics, des lieux de culture devraient agir comme un pansement pour cette population qui n’attend que ça : retrouver les camarades, replonger dans l’insouciance de la vie étudiante, et retrouver un peu de légèreté qui a tant fait défaut ces derniers temps. La crise a également provoqué des changements de vocation, des questionnements sur leur avenir professionnel : les jeunes diplômés arrivent sur le marché du travail à un moment particulièrement délicat et les étudiants se questionnent sur leur avenir. C’est sur ce point qu’il faudra agir ! Leur montrer qu’ils ne sont pas seuls. Car les jeunes sont notre avenir et nous nous devons de leur proposer des solutions.