Visibrain, « Les internautes voient en Mastodon un lieu où l’information peut circuler facilement, librement, et rapidement » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 20 Avr 2017 à 11:14
Mastodon continue de faire parler de lui !
L'interview de la semaine est consacrée au phénomène Mastodon, alias le réseau social qui débarque en force en s'inspirant des forces de Twitter et en évitant ses points faibles. Christophe Gatuingt, co-fondateur de la plateforme de veille des médias en ligne Visibrain, a accepté de répondre à nos questions, pour mieux comprendre l'enthousiasme qui entoure ce nouveau réseau social.

Vous le savez, la rédaction d’Air of melty vous présente régulièrement différentes applications susceptibles de trouver leur place dans le quotidien de la jeune génération, au même titre que Snapchat, Instagram, Tinder et compagnie. En la matière, il y a quelques jours, nous vous présentions Mastodon, le nouveau réseau social qui pourrait faire mal à Twitter. A ce sujet, Jean-Christophe Gatuingt, co-fondateur de la plateforme de veille des médias en ligne Visibrain, a accepté de répondre à nos questions, pour mieux comprendre le phénomène en marche.

-Air of melty : Pouvez-vous nous présenter Mastodon ? Quels sont les points communs et les différences du nouveau réseau social avec Twitter ?

Jean-Christophe Gatuingt, co-fondateur de Visibrain : Mastodon est un réseau social créé en octobre 2016 et très similaire à Twitter. En effet, il possède les mêmes caractéristiques principales (messages courts, publics, temps-réel, graphe social asymétrique) et son interface ressemble fortement à celle de TweetDeck (logiciel très connu utilisé par les habitués de Twitter). La principale différence entre Twitter et Mastodon, se trouve dans la propriété du réseau : Twitter est possédé par l’entreprise Twitter Inc. alors que personne n’est propriétaire de Mastodon, qui est un réseau décentralisé, où chaque utilisateur peut monter son propre serveur (« instance ») et se relier au reste du réseau. Mastodon ressemble d’ailleurs plus à un protocole qu’à un réseau social, au même titre que l’email. D’autres différences existent également, comme par exemple une limite de la taille des messages à 500 caractères pour Mastodon au lieu de 140 pour Twitter.

-Air of melty : Pourquoi et comment le buzz Mastodon est-il en passe d’arriver en France aujourd’hui alors que l’application a été lancée en octobre 2016 ? Quel a été l’élément déclencheur ?

J-C.G : Si Mastodon devient célèbre depuis quelques semaines c’est notamment… grâce à Twitter ! Le site de micro-blogging est le système nerveux du web, qui réunit aussi bien des internautes lambdas que des utilisateurs à très forte influence. Le temps-réel et les retweets publics permettent à une information ou un buzz de se propager et de grossir très rapidement. C’est ce qu’il s’est passé pour Mastodon : depuis plusieurs mois, une poignée d’internautes parlaient du réseau, dans l’indifférence générale. Jusqu’à ce qu’un ancien journaliste (Guillaume Champeau) repère l’info et mette le feu au poudre avec un tweet. C’est le premier point d’inflexion significatif du buzz, et ensuite l’effet boule de neige a continué pour donner lieu à des dizaines de milliers de messages sur les réseaux sociaux et un traitement dans les médias traditionnels.

-Air of melty : Cet essor de la concurrence signifie-t-il que Twitter est aujourd’hui en danger ?

J-C.G : Pour l’instant, Twitter n’est pas du tout en danger. Malgré certaines difficultés de Twitter et malgré le buzz sur Mastodon, ce dernier reste d’une taille minuscule par rapport au réseau social à l’oiseau bleu. De plus, les spécificités techniques dues à la décentralisation apportent certaines difficultés d’utilisation qui pourraient rebuter le plus grand nombre, notamment lors de l’inscription. Sur le long terme, tout est possible, mais je ne vois pas Mastodon mettre en danger Twitter sur les 5 prochaines années.

-Air of melty : On parle beaucoup de l’essor des réseaux sociaux axés sur l’image (Facebook, Instagram, Snapchat). Mastodon illustre-t-il le fait que l’échange de texte a encore de l’avenir sur le marché des réseaux sociaux ?

J-C.G : Effectivement, il y un a un essor des réseaux sociaux centrés sur l’image, et même les plateformes comme Facebook ou Twitter intègrent de plus en plus au coeur de leur réseau l’image, la vidéo et le live. Et si on regarde bien, Mastodon ne déroge pas à la règle. Dès le début, le réseau possède une fonctionnalité qui permet d’associer facilement une image à son message. Ce qui, rappelons le, n’était pas le cas de Twitter dans ses premières années. Les internautes voient avant tout en Mastodon un lieu où l’information peut circuler facilement, librement, et rapidement. Cela passe notamment par le format texte court, qui va être le véhicule par défaut d’une information, mais surtout par les caractéristiques qui font le succès de Twitter : la possibilité de rajouter un lien vers un autre contenu, le temps-réel, la timeline chronologique, le graphe social asymétrique (following/follower), la possibilité de « retweeter » une information…

-Air of melty : A-t-on des premiers chiffres sur l’utilisation de Mastodon à travers le monde, pour savoir si le phénomène risque de durer ou s’il est plutôt éphémère ?

J-C.G : Les premiers chiffres sur Mastodon sont très encourageants. Depuis le début du buzz, le réseau est sur une croissance exponentielle et double voire triple son nombre d’utilisateurs chaque semaine. Le réseau va bientôt atteindre la barre des 500 000 inscrits, alors qu’il y en avait à peine 20 000 en mars. On peut d’ailleurs noter l’arrivée massive des internautes japonais vers le 12 avril, qui ont contribué à cette croissance et sont aujourd’hui la 2ème population la plus présente sur Mastodon, juste derrière les Français. Pourtant, difficile à dire si le phénomène va durer. Déjà, il y a une première question sur la rétention des utilisateurs : inscrit ne signifie pas actif et beaucoup des inscrits suite au buzz sont des curieux qui pourraient très vite délaisser le réseau. Un autre bémol important, Mastodon pourrait rapidement faire face à un « plafond de verre » dû à sa relative complexité d’utilisation. Les internautes touchés par Mastodon sont des internautes aguerris et à l’aise avec l’informatique, toucher le grand public sera plus difficile. Cela ne veut pas dire que c’est impossible à terme, mais il y a encore énormément d’étapes à parcourir pour le réseau et son écosystème.

-Air of melty : Peut-on imaginer Mastodon comme étant un potentiel outil de social media marketing pour les marques ?

J-C.G : Une marque aurait pu faire du newsjacking au plus fort du buzz médiatique en étant la première à créer son compte sur Mastodon ! Toutefois, je ne recommanderais pas à une marque de considérer Mastodon comme un canal marketing pour l’instant. Comme expliqué, les personnes présentes aujourd’hui sur Mastodon sont des internautes aguerris, qui tiennent à l’aspect décentralisé et libre du réseau. Une marque grand public, qui investirait le réseau maintenant, ne serait donc pas la bienvenue sur le réseau.

-Air of melty : Avez-vous quelques conseils pour utiliser et appréhender ce nouveau réseau social de la meilleure manière possible ?

J-C.G : Avant tout de chose, je conseillerais de lire un article comme celui de Numerama pour bien comprendre les spécificités du réseau, et notamment l’aspect décentralisé. Ensuite, la partie importante est de bien choisir l’instance sur laquelle vous allez vous inscrire, un peu comme vous pouviez choisir pour votre boite email entre Hotmail et une multitude d’autres services dans la fin des années 1990… difficile de savoir sur quel cheval miser ! L’idéal serait de créer votre propre instance, mais cela demande un certain investissement et savoir-faire technique. A défaut, je vous recommande de vous inscrire sur http://mamot.fr, instance associative sérieuse et ouverte aux inscriptions. Enfin, vous pouvez aller sur https://mastodon-bridge.herokuapp.com pour importer vos contacts Twitter sur Mastodon !

Vous pouvez retrouver le décryptage encore plus complet du buzz sur le blog de Visibrain.