Castor & Pollux, « Pour les marques, il existe plein de manières de créer la surprise » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 11 Oct 2018 à 11:13
Quel type de contenu de marque attendent les Millennials et les Z en 2021 ?
À l'heure où la jeune génération reste encore bien difficile à appréhender pour un grand nombre de professionnels du marketing, nous avons posé quelques questions à Marion Curé et à Lucien Diot, respectivement Directrice de la stratégie et Directeur du Social Media chez Castor & Pollux, afin de connaître leur regard sur les tant convoités "Millennials".

Vous le savez, au quotidien, la rédaction d’Air of melty se donne pour mission de vous aider à mieux comprendre ce qui caractérise la jeune génération, en vous parlant notamment de ses marques préférées du moment ou de son rapport à différents sujets, comme les séries par exemple. Aujourd’hui, Marion Curé et Lucien Diot, respectivement Directrice de la stratégie et Directeur du Social Media chez Castor & Pollux, nous dévoilent leur point de vue sur le sujet, en allant bien au-delà de ce qui est censé définir la génération Millennials.

-Air of melty : En quelques mots, quel est l’enjeu actuel autour des Millennials dans le marché du marketing ?

Marion Curé, Directrice de la Stratégie chez Castor & Pollux : Ah, les fameux millenials ! Dans notre métier, la question est formulée de la même manière dans 2 briefs clients sur 3 : comment s’adresser à eux ? On a beaucoup cherché à définir cette génération, à lui attribuer des caractéristiques (un rapport au travail, à l’avenir, au smartphone, etc) avant d’admettre qu’il était artificiel de tenter de mettre des gens aux profils si variés dans une case. Le seul critère qu’ils ont en commun est une date de naissance et, de fait, une croissance qui a suivi celle des nouvelles technologies. La manière dont ils se les sont appropriées et ce que cela a induit dans leur comportement est ensuite propre à chacun et il nous parait bien illusoire de penser une cible simplement en terme de « génération ». L’enjeu pour nous est donc de comprendre qui est la cible de chaque marque que nous conseillons, et comment s’adresser à cette cible en l’appréhendant selon des critères plus précis que juste une date de naissance.

Lucien Diot, Directeur du Social Media chez Castor & Pollux : Il ne s’agit pas d’un changement de mentalité d’une génération à une autre, comme beaucoup veulent le croire, mais avant tout d’une mutation des moyens technologiques à la disposition de cette génération. La communication s’inscrit dans un triptyque cibles – canal – contenu. Il s’agit donc pour les marques d’être capable d’adapter à la fois leur discours à des cibles dont les attentes changent mais surtout en ce qui concerne les “millenials” de s’adapter à leur manière de consommer les contenus et d’être présent sur les canaux qu’ils consultent.

-Air of melty : Est-il pertinent de distinguer la Génération Y et la Génération Z où l’analyse de la jeune génération doit-elle se faire d’un autre point de vue ?

L : On parle souvent d’une rupture alors qu’il s’agit plutôt d’une évolution, la frontière entre Y et Z est très mince. Evidemment, certains thèmes connaissent un fort gain d’intérêt chez les plus jeunes (plaisir au travail, empreinte environnementale, égalité des sexes) mais ces thèmes n’étaient pas absents de la conscience des générations précédentes pour autant ! La différence ressentie s’explique par l’évolution des attentes, entamée il y a quelques dizaines d’années, boostée par la conjonction de la situation actuelle de la société qui a créé un sentiment d’urgence à agir et des moyens de communication à disposition de cette génération. Moyens qu’ils manient mieux que quiconque, car ils sont nés avec !

M : Un sociologue aurait sans doute un avis plus étayé sur cette question bien vaste… Dans notre métier, ces appellations sont pour moi avant tout des termes marketing pour tenter d’appréhender des catégories de consommateurs que l’on peine aujourd’hui à comprendre parce que leurs comportements de consommations sont hyper éclatés (qu’ils soient Y ou Z). Ils peuvent manger un chia bowl le matin et aller chez Big Fernand à midi, faire une cure de spiruline tout en enchainant les Moscow Mules le vendredi soir, aller à l’AMAP du coin tout en ayant un faible pour le Latte de Starbucks… Il me parait donc plus pertinent d’analyser cette consommation en terme d’attentes, d’insights, de valeurs, pour décrire un comportement spécifique, plutôt que de tenter d’en faire une définition encyclopédique dans un powerpoint…

-Air of melty : Qu’est-ce qui caractérise le rapport de la jeune génération aux marques aujourd’hui ? Que recherche-t-elle ? Que déteste-t-elle ?

M : Elle aime les chatons, les bouées licornes, le “rose instagram” et elle déteste l’autorité et la fourrure. Non ? Plus sérieusement, si on devait relever quelques traits distinctifs qui marquent l’époque et pas seulement chez les jeunes générations, on peut voir par exemple un questionnement envers les pratiques des marques : quelles pratiques, quelles mesures concrètes mises en place, au-delà de l’affirmation d’une éthique et de valeurs ? Ca parait bateau de dire ça mais les consommateurs sont de plus en plus exigeants, sur tous les plans, que ce soit les modes de fabrication, les considérations environnementales, le management… Je ne dis pas que cela change radicalement les modes de consommation : la fast fashion connait toujours un immense succès alors même que les polémiques s’accumulent, et si H&M voit ses chiffre diminuer, c’est essentiellement parce que la concurrence s’intensifie sur ce même segment de vêtements à bas prix. Mais les consommateurs ont désormais une conscience plus aiguë des mécanismes à l’oeuvre dans ce système de consommation, ils sont capables d’avoir une vision d’ensemble, et s’informent par eux-mêmes. La conséquence pour les marques et pour nous, les communicants, c’est qu’on ne peut plus ni mentir ni faire comme si de rien n’était… Et c’est une très bonne nouvelle !

L : On peut également souligner que là aussi, les moyens techniques influencent les comportements : si hier il existait un nombre de sources d’inspirations que n’importe quel publicitaire ou marketeur pouvait connaitre (magazines, télévision, radio), la multiplication des canaux et la possibilité offerte à chacun de devenir un média offerte par internet a fait exploser le marketing de masse en une infinité de sources. On observe de ce fait un rapport aux marques modifiée par la multitude des inspirations, ce qui s’incarne pour la mode par la myriade “d’influenceurs” présents sur Instagram et qui comptent quelques milliers de followers chacun. Mais c’est grâce à ces micro-communautés que certaines marques ont su revenir sur le devant de la scène (FILA, Champion, Ellesse). Le même rapport existe avec les célébrités, les restaurants, etc

Plus largement, les jeunes connaissent mieux les ficelles de la “com’ à l’ancienne”. Ils ne se laissent plus berner par les annonces sans preuves des marques, et après des milliers d’heures passées sur internet ils sont imperméables à la publicité si elle se limite à un achat d’espace.. Enfin, ce qu’elle déteste c’est qu’on lui fasse avaler de force ce qu’elle refuse avec les écrans interstitiels, le pré-roll, la newsletter non sollicitée… les études montrent que les utilisateurs de cette tranche d’âge n’ont rien contre la collecte des données et la publicité à condition que la contextualisation qui en découle leur apporte un vrai bénéfice.

-Air of melty : Où en sont les moins de 30 ans dans leur rapport aux AdBlockers aujourd’hui ?

L : L’adblock n’est plus logiciel mais mental. La consommation de contenus sur internet dès le plus jeune âge les a immunisés contre la publicité en ligne. J’aime beaucoup l’exemple des sites de torrent : il y a souvent une dizaine d’invitations à “cliquer ici pour télécharger votre contenu”, et pourtant il est assez facile de reconnaitre le vrai – et de faire abstraction des 9 faux – quand on connait les codes d’internet. Or ces codes, ils sont une part de plus en plus importante à les maitriser quand on descend la pyramide des âges. Pour être digne d’être regardée, la publicité ne doit plus être invasive mais répondre à un besoin (information, divertissement, privilège, lien communautaire).

-Air of melty : On dit beaucoup que les jeunes cherchent à être surpris par les marques. Par quoi cela passe concrètement ?

M : Ce serait bien prétentieux de la part d’une marque de penser que les gens attendent quelque chose d’elle. En revanche, il est vrai qu’il y a une vraie nécessité à se différencier pour émerger. Nous sommes dans un flux permanent de communications, de messages, d’informations, de sorties de produits. Créer la surprise est forcément nécessaire, mais il y a plein de manières de créer la surprise : il ne s’agit pas forcément d’être plus “waouh” ou d’avoir la “big idea” la plus grosse. Au contraire. Savoir prendre le temps, réfléchir à un message bien écrit, publier moins mais des contenus de plus grande qualité, voire même savoir se taire… C’est bien aussi. Il est temps d’être un peu plus subtil !

-Air of melty : Quid de l’engagement très fort des générations Y et Z en cette année 2018 ? Est-ce le moment pour les marques de prendre position sur des sujets sérieux ?

L : Cela dépend des choix stratégiques d’une marque, on n’attend pas nécessairement d’une marque de papier toilette ou de yaourts qu’elle ait un discours sociétal engagé. En revanche, toutes les marques qui commercialisent des produits ayant un fort pouvoir d’appartenance identitaire (mode, automobile, high-tech, culture) le font, consciemment ou inconsciemment. Nike a choisi de prendre le taureau par les cornes et de sortir cette campagne des 30ans de “Just Do It”. C’est un super coup car ils sont arrivés en premier sur ce terrain, et parce qu’en prenant les devant ils restent maîtres de leur image. Ils sont dans l’action et pas dans la réaction. Il ne serait pas étonnant de voir de nombreuses marques suivre dans les mois à venir. Néanmoins, attention à ce que les engagements des marques soient cohérents avec leurs actions, et attention à ne pas arriver trop tard au risque de sembler opportuniste !

-De manière générale, quels conseils donnez-vous aux marques qui veulent communiquer auprès des jeunes ? Au contraire, quelles sont les choses que vous leur déconseillez ?

L : Affinez vos cibles, repérez les canaux qu’elles utilisent et adaptez les contenus en fonction. Enfin, petite remarque empirique : on ne peut pas faire semblant d’avoir une vraie culture internet, et même si cela peut être dur à concevoir chez les annonceurs, il faut qu’ils fassent confiance dans leurs organigrammes à des gens qui connaissent et maîtrisent naturellement cet univers. Sans quoi ils s’exposent à ressembler à ça quand ils parlent aux jeunes :

M : Comme évoqué plus haut, on préfère affiner les cibles au-delà de la simple dénomination de “jeunes”, et analyser leurs comportements et leurs attentes en fonction de chaque brief. Ensuite, ce qu’on leur conseille surtout, c’est d’être cohérent par rapport à ce qu’ils sont, ne pas se travestir pour tenter de plaire “aux jeunes” (on sent déjà dans cette formulation le potentiel de malaise…). Les marques qui tentent à tout prix de s’approprier des codes, de pratiquer l’humour, d’utiliser des mèmes (non, je ne vise personne !) quand ce n’est pas leur posture habituelle, ça tombe à plat dans le meilleur des cas, c’est franchement ridicule dans le pire. Il faut avant tout être cohérent par rapport à ce que l’on est (encore faut-il le savoir… Et c’est pour ça que le planning stratégique est primordial).

-Air of melty : Pour Noël 2018, quels sont les sujets ou les modes de communication (fond comme forme) que vous pensez pouvoir être efficaces auprès de cette cible ?

L : Je serais annonceur, je parierais sur le contre-pied de Noël avec une initiative mettant en avant l’économie circulaire, la réduction de l’empreinte énergétique. Tout le monde adore Noël mais c’est aussi le moment qui caractérise tous les travers de la société de surconsommation. N’y a t’il pas une manière de se faire plaisir et de retrouver ce qui constitue vraiment l’esprit de Noël tout en consommant de façon responsable ?

-Selon vous, comment la publicité va évoluer sur les réseaux sociaux, alias le territoire digital le plus consulté par les jeunes ?

L : Les formats sont amenés à se multiplier et les techniques de ciblages à s’affiner, ce qui permettra aux annonceurs qui sauront se donner les moyens de maitriser ces leviers de proposer des contenus toujours plus contextualisés et adaptés à leurs cibles. Pour les autres, l’achat d’espace pur restera d’actualité mais verra son efficacité diminuer progressivement.