Médias : Amanda Edelman, « Pour la Gen Z, c’est le messager et non le message qui compte le plus » (EXCLU)

Par Céline Pastezeur - Publié le 12 Jan 2023 à 14:14
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Quel rapport entretiennent les membres de la Génération Z avec les médias actuellement ? Quel support consultent-ils le plus et pourquoi ? Qu'attendent-ils de l'actualité ? Réponses à toutes ces questions grâce à l'interview de la semaine !

Il y a quelques semaines, à l’occasion de Médias en Seine, le premier festival international imaginant l’écosystème médiatique de demain, Amanda Edelman, COO du Gen Z Lab d’Edelman, a eu l’opportunité, lors d’une conférence de dresser la Radiographie mondiale de la « Gen Z » : qui sont-ils (vraiment) et qu’attendent-ils des médias ? Passent-ils vraiment leurs journées sur les réseaux sociaux ? Pour bien commencer 2023 et nous en apprendre toujours plus sur le sujet, elle a accepté de répondre à nos questions.


-Air of melty : De manière générale, comment les membres de la génération Z consultent-ils l’actualité ? Et combien de temps passent-ils chaque jour sur ces actualités ?
Amanda Edelman, COO du Gen Z Lab & Associate Director chez Edelman : Au lieu de comparer les habitudes de la génération Z en matière de consommation d’informations et de médias de la même manière que nous le ferions pour les autres générations, nous devrions en fait reconstruire l’idée de ce que l’actualité signifie pour la Gen Z. Ce qui est intéressant à propos de cette génération, c’est qu’elle consomme des informations d’une manière totalement différente de celle de ses aînés. Plus précisément, nos recherches montrent qu’au lieu de vérifier activement les sites d’information, comme CNN, le New York Times ou la BBC, la génération Z reçoit une grande partie des actualités sur les réseaux sociaux. Elle consomme passivement des news sur son téléphone de cette façon. Le parcours du consommateur commence sur un canal – disons Instagram ou TikTok – en regardant des reels et d’autres contenus et, soudainement, une vidéo d’actualité peut apparaître. Alors qu’avec les générations précédentes, il fallait allumer une chaîne ou la radio pour aller chercher des actualités. Intrinsèquement, en raison du temps qu’ils passent sur les plateformes (10,5 heures par semaine sur TikTok, 6,9 sur YouTube, etc.), les informations font partie de la consommation de contenu de la génération Z, mais étant plus organiques et passives, elles ne sont pas spécifiquement recherchées. En tant que tel, nous devons considérer les actualités comme un écosystème médiatique holistique plutôt que comme de simples chaînes d’information traditionnelles.

-Air of melty : On vient de le dire, la plupart des membres de la GenZ consultent les actualités sur les réseaux sociaux. Peut-on dire que la télévision se meurt ou est-ce que les deux médias sont compatibles et complémentaires ?
A.E : Ces formes de médias, de chaînes et de consommation d’informations sont clairement plus complémentaires qu’en contradiction les unes avec les autres. Un clip télévisé peut par exemple devenir viral sur TikTok et obtenir plus de vues de cette façon. À l’inverse, une tendance TikTok pourrait aussi créer un moment d’actualité plus important. Chaque canal se nourrit de l’autre.

-Air of melty : Quelles plateformes sociales choisissent les jeunes pour s’informer et pourquoi celles-ci et pas d’autres selon vous ?
A.E : La génération Z passe le plus de temps et consomme le plus de contenu sur TikTok, YouTube et Snapchat, mais les plateformes auxquelles elles font le plus confiance sont YouTube, Instagram et Twitter. Afin de cibler la génération Z et sa consommation d’actualités, les entreprises doivent se pencher sur les plates-formes auxquelles les jeunes font le plus confiance pour obtenir le meilleur rendement d’attention et de rétention. YouTube, par exemple, correspond parfaitement au lien entre confiance et engagement.

-Air of melty : Lisent-ils et regardent-ils toutes sortes d’actualités ou s’intéressent-ils surtout à certaines thématiques, comme le divertissement ? Aussi, on parle beaucoup du fait que les jeunes sont plus engagés que les générations plus âgées sur certains sujets comme l’environnement ou l’inclusion et la diversité. Pouvons-nous voir cela dans la façon dont ils vérifient et partagent les actualités ?
A.E : Je pense qu’à bien des égards, nous sous-estimons le niveau de passivité dans la façon dont la génération Z consomme les actualités et les informations. Leur parcours est si « social first » qu’ils sollicitent rarement des actualités en réalité. En ce qui concerne les thématiques ou les sujets qu’ils privilégient, en regardant nos données on constate que ce qui compte le plus c’est le messager et non le message. La génération Z fait confiance aux experts, à leurs amis et à leur famille, à des gens comme eux, et c’est de là qu’ils trouvent le contenu qui leur plait. Leurs critères en matière d’actualité reposent en grande partie sur les personnes qu’ils suivent plutôt que sur les types de contenu qu’ils suivent. La personne qu’ils suivent crée le « quoi » qu’ils suivent.

-Air of melty : Selon votre enquête, 48% des GenZ pensent que le contenu des médias traditionnels n’est pas digne de confiance. Par ailleurs, la plupart des jeunes font davantage confiance à leurs amis et à leur famille qu’aux journalistes et aux politiciens. Qu’est-ce que cela révèle sur les jeunes et sur la manière dont ils se nourrissent de l’actualité ?
A.E : 52% des Z dans le monde pensent que le contenu des médias traditionnels est vrai et digne de confiance – laissant 48 % qui pensent qu’il n’est pas digne de confiance, presque à parts égales. Je pense que la méfiance est liée au besoin de transparence et de responsabilité exprimé par la génération Z. En raison de sa consommation des réseaux sociaux, la génération Z s’est habituée à un certain niveau de transparence. Les personnes qu’ils suivent sur les réseaux sociaux – influenceurs, amis et famille – sont beaucoup plus transparentes dans leur contenu que les institutions monolithiques, comme les médias, qui, en raison de leur taille et de leurs modèles opérationnels, sont intrinsèquement moins transparentes. Cette familiarité (ou son absence) engendre la confiance et la transparence.

-Air of melty : 7 Z sur 10 déclarent qu’ils vérifient toujours les informations qu’ils lisent. Ont-ils vraiment les outils pour le faire ? Dans quelle mesure arrivent-ils à cerner les « Fake News » ?
A.E : La génération Z est extrêmement consciente de l’existence des « Fake News ». Ils constituent une génération native du numérique, donc plus que les autres générations, ils sont conscients des pièges des médias sociaux. Lorsqu’il s’agit de vérification des faits, on sait qu’ils consultent plusieurs sources pour confirmer que quelque chose est vrai. S’ils entendent une affirmation farfelue d’un influenceur, ils la vérifieront par rapport à d’autres influenceurs, Google, poseront la question dans un commentaire sur TikTok ou sur YouTube afin de s’assurer que l’affirmation est vérifiable. Leurs méthodes de vérification des faits renvoient également aux personnes en qui la génération Z a confiance : amis et famille, proches ou experts. En raison de la personne en qui elle a confiance, la génération Z rétrécit l’entonnoir dès le départ et est très consciente de la provenance des informations.

-Air of melty : Quels sont les éléments sur lesquels les médias doivent travailler pour regagner la confiance des jeunes ? Au contraire, quels sont les éléments qui peuvent amener les jeunes à s’écarter définitivement un média ?
A.E : Le manque de transparence est l’élément le plus dangereux, sans aucun doute. Parce qu’ils ont grandi à une époque de partage d’informations, la génération Z peut être assez sceptique à l’égard des institutions s’il n’y a pas d’informations détaillées facilement disponibles. Soyez responsable, soyez direct. Si votre organisation médiatique a un certain point de vue ou des sujets sur lesquels vous faites des reportages, assurez-vous que votre propre organisation est à la hauteur de ce même examen minutieux.

-Air of melty : On parle beaucoup de JOMO (Joy of Missing Out) et de ROMO (Relief of Missing Out) en ce moment. Avez-vous l’impression que cela se rapporte particulièrement à la GenZ?
A.E : Je pense que ces termes peuvent s’appliquer à n’importe quelle génération, mais la génération Z a certainement moins de FOMO que les générations précédentes car les jeunes sont très axés sur la sécurité. Nos données montrent que, suite à la crise du COVID, pour la Gen Z, la sécurité a été prioritaire par-dessus tout. Cela s’est manifesté par des groupes d’amis plus petits et un intérêt grandissant pour leur santé. Ils sont désormais plus à l’aise à l’idée de passer à côté de certaines choses désormais. Après avoir vécu le COVID, ils ont compris que ce n’est pas la fin du monde de manquer certains événements sociaux. En fait, j’ai lu récemment qu’il y a un mouvement parmi la génération Z pour s’éloigner des médias sociaux parce qu’ils en sont venus à reconnaître ses effets néfastes, en particulier en ce qui concerne le FOMO. Ce groupe passe d’applications ambitieuses comme Instagram à des applications plus petites et plus intimes comme BeReal. Ils optent pour la réalité plutôt que pour le FOMO.

-Air of melty : Qu’attendez-vous pour les mois et les années à venir concernant la relation entre la GenZ et les médias ?
A.E : Nous verrons une continuation dans le décloisonnement des formes médiatiques. Un nouvel écosystème émerge de la façon dont les gens consomment les informations et de ce qui constitue les informations. Par exemple, quelque chose peut devenir viral sur Twitter ou TikTok et devenir un article de presse dans les médias traditionnels, puis être republié sur TikTok ou Twitter. C’est un parcours consommateur qui n’existait pas il y a 5 ou 10 ans. Des choses comme ça vont augmenter. La génération Z est la consommatrice de cette tendance et, en tant que génération influente, normalisera ce décloisonnement de la consommation d’informations sur toutes les autres générations. Il s’agit d’un nouvel écosystème d’informations et les organisations doivent réfléchir aux informations qu’elles placent, car la génération Z ne consomme pas les informations de manière unique. Ils sont incroyablement avertis et se tournent vers différents canaux et types d’actualité à des fins différentes.